Les réseaux sociaux qui devaient nous relier sont devenus des machines à diviser. Pire, ils sont aujourd’hui au service des ennemis de la démocratie.
A l’origine, les réseaux sociaux ont été perçus comme un formidable outil de démocratisation de la parole. Myspace lancé en 2003, Facebook créé en 2004 et Twitter en 2007 ont permis à tout le monde de s’exprimer, sans le filtre des médias ou des institutions. Dans la foulée, un vent de liberté a porté les médias participatifs comme Le Post (devenu Le Plus en 2011) ou 20 minutes (ci-dessous).
Dès 2010, les réseaux sociaux ont joué un rôle réel dans la mobilisation des citoyens lors des révolutions arabes, en Tunisie et en Egypte. Même si leur rôle dans ces soulèvements a sans doute été exagéré et quelque peu « romancé ».
Prime aux contenus émotionnels qui nous divisent
Pourtant, déjà, les algorithmes des réseaux sociaux étaient pointés du doigt. On leur reprochait de rétrécir notre perception du réel par la mise en exergue des contenus les plus émotionnels, par motivation mercantile.
Plus d’émotions, c’est en effet plus d’interactions, plus de clics et donc plus de revenus publicitaires. D’ailleurs, Facebook a modifié son algorithme en ce sens, à partir de son introduction bourse en 2012. Il fallait désormais tenir les objectifs financiers et rassurer les investisseurs.
Petit à petit, l’émotion négative, via les polémiques ou le « bad buzz », a pris le pas sur certaines plateformes. Or, ces controverses favorisent la fragmentation sociale et la polarisation des opinions. C’est surtout vrai sur Twitter, véritable champ, de bataille idéologique de tous les lobbies, car très fréquenté par les journalistes.
La nuance, la complexité du monde sont gommées petit à petit, au profit d’explications simplistes qui servent les populismes de tout bord.
Captation des revenus publicitaires
Depuis 15 ans, les géants du web récupèrent une part croissante de la valeur publicitaire (52% en 2022 et sans doute 65% à horizon 2030). Ce, via un ciblage puissant de leurs outils publicitaires, mais aussi via quelques tricheries de Facebook sur les chiffres vidéo ou encore la portée des publications (reach).
Les Gafam, en captant l’essentiel de la valeur des contenus produits, appauvrissent les médias. Ceci constitue en soi un risque majeur pour nos démocraties, car si l’information vérifiée, indépendante ne peut plus être financée, que reste-t-il ? La communication et la manipulation.
Théories du complot et fausses nouvelles
Mais plus encore, les réseaux sociaux sont devenus progressivement les instruments de diffusion des théories du complot. Libérer la parole de tous, c’est aussi permettre aux inquiets et névrosés de répandre leurs angoisses et de se fédérer en communautés pour gagner en efficacité. 11 septembre 2001, Covid-19, dérèglement climatique… ce n’est pas un hasard : les grands moments de peur suscitent une multiplication des explications les plus folles.
Or, selon la fameuse loi de Brandolini, « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter du baratin est beaucoup plus importante que celle qui a permis de le créer ».
Surtout quand certains médias exploitent ces peurs pour générer de l’audience et des revenus. Ainsi de la diffusion persistante des élucubrations de Didier Raoult et son prétendu remède miracle.
Détournement idéologique et politique des réseaux
Le rachat en 2022 de Twitter par Elon Musk a fait basculer l’oiseau bleu du côté encore plus obscur.
Le milliardaire a déchaîné la désinformation en supprimant la modération de Twitter et en commercialisant les certifications. Le badge certifié augmente algorithmiquement l’impact et la couverture des messages de propagande ou de communication.
Une initiative suivie début janvier 2025 par Mark Zuckerberg, patron de Meta, qui a réduit fortement la modération Facebook et Instagram et mis fin aux contrats de fact-checking sur les réseaux sociaux signés avec certains médias (dont l’AFP ou Reuters). Un geste d’allégeance à Trump et aux Républicains.
Pire encore, en 2024, Musk est entré en campagne pour Donald Trump et est devenu un super-propagateur de fake news. Durant la campagne, il a modifié l’algorithme de Twitter pour donner plus de visibilité à ses tweets et ceux soutenant le candidat républicain.
L’entrepreneur sud-africain s’est aussi immiscé début 2025 dans la politique européenne en promouvant les néo-nazis de l’AfD en Allemagne. Il a aussi cherché à déstabiliser le Premier ministre anglais Keir Starmer en exhumant une affaire de trafic sexuel, vieille de plus de dix ans.
Son salut nazi lors de l’inauguration de Trump, qu’il soit avéré au non, ponctue un soutien constant à l’extrême-droite la plus raciste d’Europe. Et à tout le moins, un geste de « dog whistling« , ou appel du pied à tous les racistes et antisémites du monde.
Manipulation géo-politique sur les plateformes
Il faut ajouter le rôle de plus en plus délétère des armées de trolls étrangers, russes, qataris, chinois.
La guerre russo-ukrainienne a révélé la force de frappe du Kremlin qui dépense des milliards pour influencer les opinions publiques occidentales et déstabiliser les régimes démocratiques.
En décembre 2024, la Russie a tenté de truquer l’élection présidentielle en Roumanie, grâce notamment au réseau TikTok, soupçonné d’avoir collaboré avec le Kremlin. 25 000 comptes sont soudain devenus très actifs vers mi-novembre, deux semaines avant le premier tour des élections présidentielles”. Des influenceurs auraient été payés pour diffuser des messages favorables au candidat élu (avec 22,94 % des suffrages), pourtant crédité de seulement 1 % d’intention de vote en septembre.
On pourrait aussi citer le cas du référendum moldave d’octobre 2024 sur l’adhésion à l’Union européenne dans lequel la Russie a tenté de truquer le résultat en achetant des voix. Mais le rôle des réseaux était bien moins évident que la corruption directe.
Pour qui fréquente encore Twitter – c’est mon cas – les trolls et agents russes sont de loin les plus agressifs, même si j’ai pu repérer quelques agents chinois assez actifs sur la plateforme.
Sans oublier les TikTokeurs algériens qui se sont récemment multipliés pour appeler à la violence sur le territoire français, contre les opposants au régime algérien, contre les juifs ou Israël. Des « influenceurs » peut-être téléguidés ou aidés par le Kremlin qui durcit sa guerre hybride contre les soutiens à l’Ukraine.
Fragilisation mentale et abêtissement au long cours
Le tableau général de la toxicité des plateformes ne serait pas complet sans mentionner le risque lié aux maladies mentales.
D’après un sondage du Pew Research Center, 89 % des adolescents disent connectés aux réseaux « presque constamment » ou « plusieurs fois par jour« . Instagram et TikTok sont régulièrement épinglés pour accentuer le mal-être des ados : problèmes de sommeil qui impactent les résultat scolaires, image de soi dégradée par comparaison à des profils idéalisés, boucles de contenus nocifs… l’OMS a même publié des recommandations en la matière.
« De 2009 à 2019, la dépression chez les adolescents a doublé et le suicide est devenu l’une des principales causes de décès chez les jeunes âgés de 10 à 14 ans » précise Michael Stora, psychologue et auteur de » Réseaux sociaux : découvrez le côté obscur des algorithmes »
TikTok, réseau problématique dont on parle moins, est pourtant celui dont la croissance est la plus fulgurante, notamment auprès des jeunes. C’est l’outil social le plus populaire pour s’informer chez les 18-24 ans (23 % en moyenne dans le monde).
Derrière ce réseau, on retrouve le parti communiste chinois d’après ce rapport sénatorial. Le régime autoritaire et impérialiste compte bien dans un premier temps remettre la main sur Taïwan. Et dans un second temps, prendre sa revanche sur l’occident qui l’a humilié lors des guerres de l’opium.
D’aucuns comparent l’abêtissement proposé aux jeunes adultes occidentaux aux contenus intelligents proposés aux jeunes Chinois via l’application locale Douyin. De là à imaginer une stratégie au long cours d’affaiblissement intellectuel de nos populations sur le long terme… il n’y a qu’un pas.
Le réseau alimente son puissant service de renseignement en données diverses. Et prépare sans doute les guerres de désinformation de demain, dont on a pu voir un aperçu, lors de la présidentielle truquée de Roumanie.
Conclusion :
Les travers des réseaux sociaux semblent l’emporter largement sur ses bénéfices. Les algorithmes qui manipulent nos émotions nous dressent les uns contre les autres. Au plan national, ils favorisent les populismes et les extrémismes de droite et de gauche. Au niveau international, les plateformes déstabilisent nos démocraties dans un contexte où les autocraties, inspirées par une Russie et une Chine revanchards, se liguent pour conquérir le monde. Sans oublier l’Amérique de Trump qui bascule vers l’illibéralisme. Il est temps de durcir le ton face à ces menaces. Et au plan individuel, de se préserver. Moins de réseaux, moins d’écrans. Plus de livres et de balades ?
Cyrille Frank
[Consultant, formateur, conférencier] voir mon cv plus détaillé
Abonnez-vous à ma newsletter hebdo gratuite : tendances, usages, outils, bonnes pratiques médias
Sur Twitter
Sur Facebook
Sur Linkedin
A lire aussi :