L’intelligence artificielle va-t-elle nous piquer nos jobs ou juste les transformer ?

Les outils d’intelligence artificielle permettent déjà des gains de productivité importants. Mais qu’en feront les entreprises ? Des économies via moins d’emplois, ou de la création de valeur ?

Ebra a suspendu son projet d’expérimenter ChatGPT pour la relecture des copies de ses correspondants. Face à l’inquiétude des représentants du personnel, le groupe de presse régional renonce donc à son projet, pour le moment.

Au coeur de la polémique, l’emploi, évidemment. Le SNJ s’est ému des risques que les outils génératifs font peser sur le métier des secrétaires de rédaction. Ces derniers, chargés de la correction, reformulation et titrage des articles sont concurrencés par l’IA, de fait.

Certes, l’intervention humaine est toujours nécessaire, car les modèles de langage (LLM) utilisés par l’IA laissent passer pas mal d’erreurs (contre-sens, lourdeurs…). Reste qu’ils font gagner pas mal de temps, pour :

  • Résumer, reformuler, transcrire, traduire, mettre en forme du texte
  • Produire, retoucher des photos et videos, coder, faciliter le SEO
  • Analyser des gros volumes de données, faciliter le traitement data

C’est toute une culture de l’innovation et de la collaboration qui augmente l’expertise de l’ensemble de l’entreprise, comme l’explique le directeur technique de Schibsted.

Plus de productivité, pour plus ou moins d’emplois ?

Selon cette étude du MIT, les gains de productivité seraient de 14% en moyenne, et jusqu’à 35% pour les moins qualifiés !

Il semblerait en effet pour les travailleurs les plus performants, qui ont intégré les bonnes pratiques, les outils d’IA seraient moins utiles, voire superflus. Ceci, alors que l’intelligence artificielle se nourrit précisément de leur travail pour améliorer celui de leurs collègues. Paradoxe : les plus gros contributeurs de l’IA non seulement en profitent peu, mais en pâtissent, car les outils génératifs réduisent leur avance relative sur leurs collègues.

Selon Erik Brynjolfsson (en video), les entreprises devraient donc changer leur système de rémunération en faveur de leurs meilleurs employés. « Les entreprises qui réussissent auront des systèmes d’incitation et de récompense qui reconnaissent que ces employés les plus performants créent des connaissances dont l’ensemble de l’organisation dépend », prédit-il.

S’agissant de l’impact sur l’emploi, les estimations varient selon les études. L’intelligence artificielle menacerait entre 9% et près de 50% des emplois dans le monde. Un rapport de Goldman Sachs de mars 2023, table sur le chiffre intermédiaire de 25%, soit la suppression de près de 300 millions d’emplois dans le monde, y compris dans les emplois très qualifiés.

On sait aussi que l’IA va créer des emplois, car elle exige de nouvelles compétences. Des fonctions apparaissent, telles que les spécialistes du contenu généré par l’IA, les producteurs de musique IA, ou les commerciaux travaillant en binômes avec les chatbots. Il faudra entraîner, peaufiner et exploiter les robots conversationnels en ligne, et les assistants virtuels alimentés par l’IA puis creuser les « leads » des relations virtuelles dans le monde « physique », via le téléphone, la visiophonie etc.)

Toute la difficulté est de savoir si le solde sera positif ou négatif, et sur quelle durée. Pour l’Organisation internationale du travail, le bilan sera globalement positif, même si inégal selon les postes et les sexes. Les femmes, seraient plus exposées, car plus représentées dans les métiers bureautiques.

L’étude de l’OIT prédit surtout que l’IA va compléter plus que remplacer le travail. Mais l’organisme évoque aussi la dégradation de l’emploi, lié à l’apparition de nouveaux ouvriers du numérique (9 millions en 2015), chargés du renforcement linguistique, pour corriger les erreurs des algorithmes.

Y aller, certes, mais pas n’importe comment

Pour autant, à l’instar de toutes les innovations précédentes (comme la PAO en presse), l’utilisation de l’IA en entreprise (de presse ou pas) semble inéluctable.

Il paraît illusoire de s’arc-bouter sur “le monde d’avant”, qui peut conduire à prendre un retard coûteux à l’échelle de l’individu ou de la société.

De ce point de vue, la France est à la traîne en matière d’IA, avec un taux d’utilisation quotidien de seulement 26%, versus 70% pour la Chine et 64% pour l’Inde par exemple.

Mais l’OIT insiste aussi sur la discussion, la formation et la protection sociale :

“Le dialogue avec les travailleurs, la formation et une protection sociale adéquate seront essentiels pour gérer la transition.”

Les journalistes, eux, devront veiller à trois choses :

1. Se recentrer sur ce que la machine ne peut faire : trouver, vérifier, hiérarchiser l’information. Un retour aux sources plutôt de bon augure, car il redonne du sens au journalisme.

2. Monter en compétence sur l’enquête, la vérification ou la narration “incarnée”. Ceux qui ont été cantonnés au bâtonnage de dépêches, doivent se mettre à niveau, vite.

3. Assurer le respect de la déontologie : quand et comment utiliser l’IA ? Ce qui passe par la mise en place (et le suivi) d’une charte, à l’image de celle du Parisien-Les Echos.

De ce point, l’exemple de Gannet est celui qu’il ne faut pas suivre. Le groupe de presse américain qui édite Usa Today, a semble-t-il, publié des contenus fabriqués par les algorithmes, mais sous de faux noms de journalistes, en niant qui plus est, la mystification a posteriori.

A l’heure où la confiance en les journalistes et les médias est au plus bas (54% de défiance en 2023), ce genre de mensonges est suicidaire pour le secteur.

L’impact de l’Intelligence artificielle sur l’emploi est donc nuancé, une fois de plus. D’abord, il ne sera pas le même selon les métiers. Ensuite, il dépendra beaucoup de la culture de chaque entreprise. Il est illusoire de se raidir pour empêcher toute utilisation de l’IA. Mais a contrario, il semble sain et nécessaire de s’interroger sur les conditions et modalités de cet usage. Au delà, se pose aussi la question de la rétribution du travail tertiaire et de son indemnisation, à l’ère de sa disparition progressive via l’automatisation (après la robotique de l’industrie).

Cyrille FRANK

[Consultant, formateur, conférencier] voir mon cv plus détaillé

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Disclaimer >> 10 ans plus tard, cet article a plutôt mal vécu, tant l’IA a progressé et se montre capable de singer notre créativité et d’ajouter de l’aléatoire.

Illustration réalisée sur Dall-E 3, via Bing

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