En relayant des polémiques futiles, ou des annonces absurdes, les médias tombent désormais de manière systématique dans le panneau de la communication.
Billet de décembre 2015, actualisé le 5 septembre 2019.
Le feuilleton des turpitudes familiales de Yann Moix, les révélations de son passé trouble et sa théâtrale résipiscence médiatique ont occupé les médias parisiens pendant près d’une semaine.
Une distorsion d’attention des médias qui fait bien les affaires de ceux qui les provoquent, mais qui servent aussi les médias en quête d’audience, et un peu le public, toujours un peu schizophrène sur le ton « cachez ce sein que je ne saurais voir ».
Ils rejoignent la longue liste des non-sujets, comme le voyage en voilier pas si écolo de Greta Thunberg, la vraie fausse ascension du Mont Blanc, par Eric Woerth ou les gesticulations des militantes pro-burkini à Paris.
Ces polémiques rejoignent la liste des sujets montés en épingle que je listais il y a presque cinq ans : le retour prétendu de Bernard Tapie, les éructations de Robert Ménard, les vitupérations du colérique Jean-Luc Mélenchon…
Rien n’a changé. Le plus sûr moyen d’intéresser les médias, toujours et encore, est de dire une énormité et d’attendre les cris d’orfraie des uns et des autres. Ou de créer la pagaille pour gonfler artificiellement un problème.
Une stratégie qui a porté ses fruits outre-Atlantique, avec les élucubrations de Donald Trump, devenu président des Etats-Unis grâce à cette stratégie de la muleta médiatique.
Pourquoi tendre des micros, accorder des tribunes à ceux qui ne cherchent qu’à faire du bruit et à occuper l’espace médiatique, au détriment de sujets plus importants ?
Et bien pour faire du buzz, de l’audience, des ventes évidemment ! Les patrons des médias sont conscients de faire le jeu des communicants, mais ils s’en fichent. Nécessité économique fait loi : la presse est tellement aux abois qu’elle fait feu de tout bois. Ce qui avait fait dire à notre ancien ministre-philosophe :
TWITTER, NOUVEL ESPACE D’EXPRESSION DU VIDE
Nadine Morano, Christine Boutin, Laurent Wauquiez et autres cruches politiques ont trouvé avec Twitter un canal de communication parfait qui relaie leurs idioties démagogues à loisir. Les indignés 2.0 qui s’offusquent de leurs inepties, leur donnent une visibilité inespérée, et sont de fait, leurs premiers assistants de communication.
Quant aux médias, ils puisent là une source de sujets faciles : la revue de tweets qui raconte la polémique en carton du moment. Une façon de traiter les sujets légers, l’air de rien. Cachez ce sein que je ne saurais voir… « Ce n’est pas nous qu’on le dit : c’est Twitter ».
UNE TENDANCE DÉLÉTÈRE POUR LES MÉDIAS
Ceci représente l’abandon de toute hiérarchie de l’information. On occupe notre temps de cerveau disponible avec des broutilles. Pour mieux nous détourner des sujets qui fâchent ? Je ne crois pas vraiment à la théorie politique du rideau de fumée, de l’anesthésie calculée des peuples par le divertissement et le leurre. Encore qu’avec les rachats des médias par les grands groupes industriels, à la veille de l’élection présidentielle, il est légitime de se poser la question.
Je crois davantage à la motivation économique.
La polémique sur des propos excessifs – et si possible idiots – est bien pratique quand il ne s’est pas passé grand chose. Cela noircit les colonnes du papier, qu’il faut bien remplir en effet. Plus facile à mettre en place qu’un agenda éditorial anticipé pour disposer de sujets magazine plus froids, en cas d’actualité molle.
Mais sur Internet, pourquoi reproduire cette habitude du remplissage ou de la publication régulière de nouvelles, y compris quand il ne se passe rien, ou qu’on n’a rien à dire ? Occuper le terrain, remplir le vide n’a pas de sens à l’heure de la surabondance d’informations. Et si on en profitait pour travailler les sujets plus longs et exigeants ?
Ce jour là, il y aura moins d’articles publiés. Quelle importance puisque de toute façon, les gens n’ont pas le temps de les lire ? C’est vrai aussi qu’on se prive aussi de la dernière polémique qui représente souvent une belle audience à peu de frais et d’efforts. Mais, une audience obtenue au prix d’une terrible caisse de résonance médiatique, bien creuse.
REPRENDRE LA MAIN SUR L’AGENDA MEDIATIQUE EST UNE NECESSITE !
Il faut absolument éviter la caisse de résonance médiatique, la réplication des mêmes articles, parfois à peine édités, comme le montre cet exemple assez édifiant :
Ne pas être qu’en rebond des événements proposés par autrui, mais aller chercher ses propres sujets, reprendre la main sur l’agenda médiatique est une nécessité pour avoir une chance d’émerger dans la course pour l’attention.
Cela ne signifie pas être complètement déconnecté des sujets actuels, mais cela implique de ne pas subir la dictature de l’instantané. Refuser de relayer ou commenter la dernière ânerie politique en date. Prendre un peu de distance avec les communiqués des attachés de presse, avec les polémiques futiles et vides, avec le dernier fait divers choquant du moment. Et assumer surtout que si rien ne semble digne d’intérêt dans les faits du jour, il vaut mieux en profiter pour travailler les sujets profonds et compliqués qui feront l’audience de demain.
MAIS IL FAUT BIEN PARLER DE CE QUI FAIT L’ACTUALITÉ !
Il faut en effet distinguer les phénomènes devenus médiatiques qu’il convient d’expliciter et mettre en perspective, comme le font très bien les décodeurs du Monde, des faits médiatiques auto-immunes crées de toute pièce par les médias eux-mêmes.
Pourquoi relayer la dernière provocation de Dieudonné et lui offrir ainsi une tribune à son discours antisémite et anti-républicain ? En revanche, quand le phénomène est déjà une réalité, il est important de prendre le temps de le dénoncer point par point, à grand renfort d’arguments et de faits documentés.
Il faut faire preuve de discernement, de prudence et éviter les deux écueils contraires des fameux “effets “Streisand” ou “affaire Adjani”.
Dans le premier cas, Barbra Streisand avait tenté de faire interdire la diffusion d’une photographie aérienne de sa villa. Malheureusement pour elle, cette tentative eut l’effet inverse : la publication de la procédure fit connaître l’image auprès de centaines de milliers d’internautes américains.
Dans le second cas, Isabelle Adjani, victime d’une rumeur tenace selon laquelle elle était malade voire décédée du Sida, était venue sur le plateau de TF1 démentir la fable (ci-dessous). Mais cette dénégation publique sur la 1e chaîne de France avait surtout réussi à diffuser l’information au plus grand nombre, et à répandre ainsi le doute.
Voilà un équilibre qui n’est certes pas simple ! Il nécessite de savoir se taire quelquefois, pour ne pas ajouter du bruit au bruit, ou au contraire d’intervenir pour éteindre l’incendie, quand il s’est déjà déclaré.
Sélection, vérification, hiérarchisation… les médias d’information générale doivent revenir à leurs missions essentielles et cesser de tomber dans la course au vide. Oui le buzz fonctionne et engrange une audience facile.
Mais à long terme, cela tue l’attachement et la confiance en les médias eux-mêmes, comme le montre une fois de plus le baromètre 2019 de confiance en les médias
Les lecteurs, téléspectateurs, internautes sont des enfants incohérents et versatiles. Ils réclament aujourd’hui de se nourrir exclusivement de sucreries. Mais ils nous reprocheront demain de n’avoir pas assez insisté pour leur faire manger des légumes verts, gâtant ainsi leurs dents. Et surtout leur cerveau.
POUR ALLER PLUS LOIN :
- Désinformation et rumeur : nous sommes notre pire ennemi !
- Médias et information : sale temps pour la complexité
- Désinformation, manipulations… le public est-il son propre bourreau ?
- Non, le buzz de la robe n’est pas (forcément) le naufrage du journalisme !
Cyrille Frank
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Crédit photo : Cotaro70s en Creative Commons via flickr.com
je n’ai qu’un mot à dire : merci !
carte de presse: 8559x (aux orties)
Merci Jean-Philippe !
Moi aussi, ce que je vois me navre… mais il y a aussi de très bonnes choses (les décodeurs, data gueule, We Do Data…)
Très bonnes fêtes à vous 🙂
Cyrille
Je n’ai pas consulté le decodex de Le Monde, et n’ai pas l’intention de le faire. A une époque, je lisais régulièrement le pseudo « checknews » de Libération, or j’ai vite constaté que 1) d’une part, le choix des questions traitées est éditorialement et idéologiquement très orienté, ce qui me semble très problématique 2) d’autre part, certaines affirmations étaient très approximatives voire dans certains cas factuellement erronées : il s’agissait de désinformation parfois même de diffamation. Un site comme checknews illustre l’amateurisme, l’absence d’éthique et de culture politique (de culture tout court) d’une large majorité des médias français contemporains, qui confondent souvent journalisme et militantisme : choses par essence incompatibles.
Bien à vous