Micro-paiement, vente à l’unité, « advertpayment »… les bonnes et mauvaises idées marketing pour la presse en ligne

Google devrait bientôt proposer une solution de micro-paiement aux éditeurs français. Voilà qui relance les discussions sur la vente de contenus à l’unité, les portefeuilles, les kiosques…

Google a lancé en août 2023 un outil de micro-paiement à destination des éditeurs, baptisé Google Offerwall. La solution de paiement associée (Supertab.co) devrait proposer l’achat en euros dès le 3e trimestre 2024.

Le système, proposé par le géant de la recherche, est un paywall à la carte qui permet aux lecteurs des sites média de débloquer un contenu en échange d’une action au choix :
– Visionner une publicité
– Partager ses données pour le ciblage publicitaire
– Acheter l’article à l’unité, ou un pass à durée limitée
– S’abonner au titre

Cette news reprise par Maxime Loisel sur LinkedIn a été aussi abondamment discutée dans le groupe WhatsApp de The Audiencers, l’excellente communauté des marketeux des médias (et pas que).

L’occasion de revenir sur quelques-unes des idées à mon sens mauvaises ou bonnes qui agitent le marketing éditorial des médias depuis plusieurs années. Mais d’abord un peu de contexte…

La publicité décline, l’abonnement ne décolle pas

Cette nouvelle offre de collaboration de Google, après Subscribe et autres partenariats issus de la Google New Initiative, intervient alors que la publicité classique et la programmatique marquent le pas.

La presse a vu un recul de 6% de ses revenus display en 2023, et moins 2% sur la programmatique classique (hors video).
👉 Voir dans la newsletter Mediarama mon analyse des résultats publicitaires numériques en 2023

Quant aux abonnements, ils ne décollent pas vraiment, sauf pour les groupes de presse les plus puissants comme Le Figaro ou Le Monde, lequel a franchi la barre des 600.000 abonnés print et web.
Un chiffre impressionnant mais qui ne correspond en fait qu’à moins de 3% de son audience (21.500.000 visiteurs uniques par mois selon Mediamétrie en janvier 2024 en pdf)

On parle aussi beaucoup du succès du New York Times qui a convaincu près de 10 millions de personnes de s’abonner. Un chiffre incroyable atteint aussi grâce à l’offre groupée avec The Athletics (sport), les mots croisés (jeu) et les recettes (cuisine). Et qui correspond à 10% de son audience. En 2022, le NYT confiait attirer environ 100 millions de visiteurs uniques chaque mois.

Mais en France, on est loin de ces niveaux, même si le nombre d’abonnés de chaque titre augmente petit à petit chaque année. Le baromètre 2022 de l’APIG (pdf) montre une disparité forte :

D’ailleurs, cette croissance des abonnements numériques ralentit. Finie la période faste du Covid-19 où se conjuguait besoin fort d’information fiable et disponibilité. Désormais, se développe plutôt la fatigue de l’abonnement. Celle-ci profite aux plus grosses marques médias : celles qui sont les plus connues, qui possèdent la capacité à diffuser grâce à de grosses rédactions, et qui peuvent investir en marketing.

Ceci est accentué par le contexte économique difficile (inflation, chômage). Les lecteurs font des arbitrages budgétaires : l’information anxiogène n’est pas de taille contre le divertissant Netflix.

On atteint aussi le plafond du marché payant. La proportion de personnes susceptibles de payer pour de l’information, d’une façon ou d’une autre, se situe autour de 11% en France, d’après l’étude du Reuters Institute (stable depuis 2019). On y est pas encore, mais « il semble que les abonnés « faciles », déjà convaincus par la marque média ont été recrutés. Désormais on entre dans le dur », résume Marc Leprat, fondateur de ViewPay (voir plus bas).

Le modèle hybride est désormais incontournable

Le modèle 100% payant est une exception en France. Il faut saluer le succès de Médiapart parti plus tôt que tout le monde sur le payant et qui a fait le plein des lecteurs instruits de gauche.

Pour la plupart des autres, il est désormais clair qu’il faudra s’appuyer sur plusieurs types de revenus : ceux des lecteurs, ceux de la publicité et autres diversifications (évènementiel).

👉 C’était le 3e point de mon article : 11 réalités qu’on ne s’avoue pas toujours sur les abonnements numériques

L’abonnement ne suffira pas à financer la presse, même si cette ligne de revenus récurrente est cruciale pour les éditeurs.

D’où le pilotage des rédactions pour distinguer les contenus gratuits destinés à faire de l’audience et rapporter des revenus pub, des contenus payants réservés aux abonnés payants.

Les fausses bonnes idées : la vente à l’unité

D’où aussi l’idée de faire payer les 90 à 99% des lecteurs occasionnels des titres qui refusent de s’abonner sur le long terme. C’est l’objet des ventes à l’unité promues un temps par des plateformes comme Blendle, puis abandonnées faute de rentabilité.

L’idée était de de vendre certains articles ou videos à ces lecteurs volatiles, rétifs à l’abonnement. Malin sur le papier, sauf que cette vente à l’unité – si elle sert les lecteurs – n’est pas rentable pour l’éditeur.

Pourquoi ? Parce que ces ventes à l’unité cannibalisent les abonnements en totalité qui seuls permettent de financer l’ensemble de la production éditoriale des titres. C’est le papier « people » un peu croustillant qui finance l’article d’actu que personne n’achèterait. Ou l’analyse du rapport du GIEC si important, qu’on veut bien le lire en diagonale. Mais certainement pas l’acheter.

Le mirage du kiosque illimité

L’autre idée développée ces dernières années consiste à proposer au public des kiosques qui regroupent des centaines de titres à l’instar de E-presse ou Cafeyn. Le tout, pour une dizaine d’euros. Mais comment ne pas cannibaliser l’offre des éditeurs avec cette promo imbattable ?

La 1e technique consiste à dégrader l’expérience utilisateur des abonnés avec surtout un accès à des pdf. On voit la schizophrénie du modèle : le service ne doit pas être trop bon. Ci-dessous un des rares articles optimisés pour l’application, sinon, c’est la liseuse pdf. Quand la lecture se fait désormais à 79% sur mobile, cela ne semble pas une si bonne idée.

La seconde promesse consiste à dire que la plateforme ne touche pas les mêmes cibles, grâce à un algorithme très malin. J’aimerais y croire, mais je n’ai rien vu de probant en ce sens, jusque-là.

La troisième technique consiste à promouvoir l’abonnement des éditeurs en cas de surconsommation d’un titre en particulier. C’est très aimable, mais pourquoi les kiosques feraient-ils quelque chose qui nuit à leur propre modèle ?

Enfin, il est mathématiquement impossible de financer plusieurs centaines de titres avec un abonnement à 10 euros. Surtout avec l’inégale répartition de la valeur en faveur des « blockbusters ». J’y vois un intérêt pour des petits médias de se faire connaître, mais pas réellement de modèle d’affaire crédible avec autant de médias à financer. En revanche, je pense qu’il y a moyen d’imaginer une plateforme d’offres groupées avec des réductions. Un peu comme l’OFUP des étudiants autrefois. Et des bundles cohérents (Le Monde + Geo + Sciences et Avenir + ) ou complémentaires (Libération + Les Inrocks + Society …)

👉 C’est ce que j’explique dans cet article : Blendle, Cafeyn, ePresse… : pourquoi les kiosques numériques ne sauveront pas la presse

Et le portefeuille d’achat multi-titres ?

Pour Denis Verloes, l’utilisateur achète un forfait pour 20 euros (par exemple). Il peut acheter sur son Spotify de l’actu auprès de tous les titres partenaires. Ce qu’il n’a pas consommé est perdu au bout d’un an. Chaque éditeur décide d’un prix à l’article selon son calcul de rentabilité (un, deux, trois euros par, article ?). Ça marche bien avec la carte UGC / MK2 qui sont pourtant concurrents. »

Encore une fois, c’est une bonne idée pour l’utilisateur. Mais d’après moi, on retrouve le même problème que pour le paiement à l’article : seuls les papiers « déclencheurs » vont se vendre. Les éditeurs cannibalisent la vente de leur abonnements globaux, car l’exclusivité de ces articles moteurs de recrutement disparaît. On ne finance pas une ligne édito tout entière avec une poignée d’articles accrocheurs.

Le lancement d’une nouvelle offre moins chère, même à un public différent, est toujours risquée. On se rappelle de l’application du New York Times à destination des plus jeunes, baptisée Now. Ils ont vite retiré cette offre à 8 dollars/mois qui cannibalisait les abonnements beaucoup plus chers (et rentables).

Enfin sur le plan presque philosophique, cet usage 100% à la demande nuit à l’ouverture liée à la découverte d’un contenu non attendu. C’est un peu le sens de ce que j’écrivais avec l’irruption de Google et la mort du cyberflâneur.

L’authentification partagée avec connexion unique

Le Geste avait lancé le PassMedia en 2019 avec une dizaine de grands médias L’Equipe, Le Figaro, Lagardère, radio-France, M6 etc. Il s’agissait de permettre aux utilisateurs de se connecter à plusieurs médias, en ne se créant qu’un seul compte.

L’intérêt pour les médias : récupérer plus facilement le consentement de leurs utilisateurs et leurs données de navigation. Une nécessité à l’heure de la fin des cookies tiers qui empêche suivi d’audience et ciblage publicitaire. Ce qui fera chuter les revenus publicitaires.

Le deuxième intérêt était de pouvoir limiter la « friction à l’abonnement ». C’est à dire faciliter la promotion des abonnements pour les éditeurs déjà identifiés. Et déployer dans un second temps un système de paiement simple et unique pour tous.

Pourtant cette initiative n’a pas été suivie par d’autres éditeurs. Pour Emmanuel Parody, « il fait toujours sens ». Ce qui a fait capoter le projet ?

Malgré la vision commune acquise beaucoup trop de temps perdu pour structurer l’implémentation technique au milieu des planning tech de mastodontes. D’une certaine façon ce projet est arrivé deux ans trop tard ».

« L’advertpayment » : bonne idée, mais Google réinvente la roue

Au registre des fonctions proposées par Google Offerwall, on trouve l’advertpayment, qui consiste à échanger l’accès à un article contre le visionnage d’une publicité.

Cette « nouvelle » solution n’est ni plus ni moins que la réplication de ce qu’offre l’acteur français ViewPay qui existe depuis 2013. Son fondateur, Marc Leprat, s’échine depuis longtemps à proposer ses services à des éditeurs, souvent sceptiques ou frileux.

Pourtant elle présente de sérieux atouts :

  • D’abord, ViewPay garantit une complétude totale de visionnage (visible et vue jusqu’au bout, avec le son). L’utilisateur choisit l’annonce la plus en affinité avec ses goûts.
  • L’attention consentie des visiteurs est donc bien meilleure avec des taux de mémorisation bien supérieurs aux publicités videos habituelles
  • Les annonces sont limitées à deux expositions en moyenne par mois, contre trois par jour proposées parfois par les agences (susceptibles d’un rejet par les usagers de ce « matraquage »)
  • Ceci permet à Viewpay de proposer des CPM élevés (de 18 à 30 euros de rémunération nette !) vers des contenus de qualité – pas comme les pubs « cheap » de Taboola sur les homes des sites
  • C’est un échange qui n’utilise pas les données de l’utilisateur, les annonces sont choisies en fonction de leur contexte de diffusion. C’est ce que Marc Leprat appelle le « marketing du respect »
  • La solution se connecte aux paywalls dynamiques ou aux DMP afin de proposer, au choix un abonnement ou une annonce, de sorte qu’il contribue aussi au modèle d’affaire pérenne des médias
  • C’est vertueux sur le plan écologique, car on produit moins d’annonces pour atteindre les mêmes objectifs publicitaires

En somme, on retrouve toutes les fonctions proposées par l’outil de Google. Sauf qu’avec le géant de la recherche, on doit se fier à un acteur en position dominante. Acteur qui n’a cessé de capter la valeur publicitaire des médias depuis 20 ans.

Conclusion

Les menaces sur le trafic et les data utilisateurs pèsent sur l’avenir des revenus publicitaires de la presse en ligne. Les revenus des abonnements ne suffiront pas non plus à financer les rédactions. D’où le retour des vieux mirages : l’achat à l’unité, les kiosques, les portefeuilles de paiement. Dans le lot des anciennes idées, il en reste toutefois plusieurs à creuser. Notamment le login unique et l’advertpayment. Ce dernier renoue selon moi le pacte tacite entre utilisateurs, médias et annonceurs de manière plutôt saine.

Et vous, vous en pensez quoi ?

Cyrille FRANK

[Consultant, formateur, conférencier] voir mon cv plus détaillé

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Photo de une de Sharon Pittaway sur Unsplash

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