Elitisme ou populisme en presse, la porte étroite

Une Liberation 7oct 2010
Une de Libération 7 octobre 2010

Face à la censure de la Mairie de Paris à l’encontre de l’exposition controversée du photographe américain, Libération fait un pied de nez et affiche publiquement, à tous l’une des photographies les plus « scandaleuses ». Une démarche militante  qui renoue avec la grande tradition politique du titre. Et qui est cohérente avec sa ligne et son public.

Sauf que l’on reste dans un domaine très élitiste et très parisien qui ne risque pas d’intéresser les foules.

C’est surtout ce décalage social entre les journalistes de Libération et la population de gauche qui me frappe…

A l’heure des grèves massives contre la réforme des retraites, de procès Kerviel avec en arrière-plan, le sentiment d’injustice qui monte… Cette hiérarchisation éditoriale me laisse perplexe.

ELITISME OU POPULISME: LA PORTE ETROITE

Je donne raison à Libération et aux défenseurs de cette exposition pour toutes les bonnes raisons très bien expliquées par l’Express ci-dessus. Tiens précisément le titre qui a défrayé la chronique hier avec une Une précisément aux antipodes de celle-ci.

Une Express 6oct 2010
Une Express 6oct 2010

Car la Une de l’Express ce mois-ci est autrement plus dérangeante pour les raisons exactement inverses : elle verse très largement dans le populisme le plus abject. Avec ce minaret géant écrasant ce malheureux petit cloché en arrière-plan.

Avec ces sous-titres racoleurs :

-Le retour de la menace terroriste

-La poussée des fondamentalismes

-L’échec de l’intégration

-Les forces politiques qui en profitent

Ce qu’il y a d’insidieux et de scandaleux dans cette Une, c’est la mise sur le même plan de problèmes très différents réunis sous un seul et même mot-clé : Islam.

L’amalgame est donc évident : l’islam crée du fondamentalisme, du terrorisme, des problèmes d’intégration et tout cela profite à l’extrême-droite. Cette couverture n’est pas digne de l’Express et de son discours constant.

Alors que s’est-il produit ? Et bien une pression économique sur les ventes bien sûr.

Et c’est bien là la pire des pressions, car elle est engagée par un journaliste lui-même, qui s’il est honnête, ne doit pas être très fier de lui. Je me souviens encore de son discours à son arrivée à la rédaction en chef et ses propos rassurants sur la fin des Une racoleuses… La réalité s’accommode mal de la vanité des promesses.

RETROUVER UN EQUILIBRE

Entre les deux extrêmes évoqués en l’espace de deux jours, ma préférence va au premier. Au pire il ne sera pas lu, c’est tout. Mais c’est quand même dommage de ne pas profiter de son flambeau pour éclairer les foules.

Ce sujet de Libération était intéressant, légitime. Mais pas en Une !
Remettons un peu de hiérarchie en fonction du contexte social que diable… Un peu d’empathie n’a jamais nuit au journalisme.

« Il faut servir au lecteur ce qu’il veut et aussi, ce qu’il ne sait pas encore qu’il veut ». Absolument, mais la première condition est nécessaire à la seconde.

Plaire au public est une obligation morale pour la presse car elle conditionne la survie de cette industrie et cette brique essentielle de notre démocratie.

Cyrille Frank

Sur Twitter
Sur Facebook
Sur Linkedin

13 commentaires sur « Elitisme ou populisme en presse, la porte étroite »

  1. Jouer sur le choc de la photo qui de toute évidence ne laisse pas l’œil indifférent est une chose.
    Cependant en ces temps d’obscurantisme et de retour à la morale toute poussée défensive est bonne à prendre.
    Si l’on ne permet plus à l’art de de jouer son rôle (que l’on aime ou l’on aime pas c’est un autre débat) pour moi ça concerne le grand public.
    Je ne vois rien d’élitiste là dedans c’est juste une illustration que la piètre tournure que prennent les choses…
    Bon après j’ai pas lu l’article de libé mais celui là :
    http://www.lemonde.fr/culture/reactions/2010/10/02/larry-clark-une-attaque-des-adultes-contre-les-ados_1419322_3246_2.html

    Pis aussi faut pas prendre les adolescents que pour des cons…

    « All in all it was just another brick in the wall » auraient dit les Pink Floyd

    1. Idem que toi… entre la peste et le choléra je choisis la peste !
      les deux couvertures mises en opposition donnent tous leur sens à l’article.

  2. @Vioncent je ne critique pas le fond de Libération : je suis tout à fait d’accord avec leur combat.

    C'(est la hiérarchie de l’info qui me dérange…

    Chômage, précarité, retraites, sécurité… voilà ce qui intéresse les gens maintenant tout de suite. Parler de culture, de libertés publiques, d’Hadopi ok mais pas de manière principale.

    Cet élitisme est le creuset de l’extrême droite aussi car il coupe les bons journalistes de leur population et dieu sait si on en a besoin. Faisons les bosser sur les sujets clés! et mettons la gomme en Une. 2012 se rapproche… Et là je te le dis : Marine, sauf changement de tendance sera au second tour.

    Je vais faire mon possible pour secouer les journalistes, crois-moi…

    1. mort de rire !
      Emploi du temps en berne et fragments de pensées :
      le domaine du politique c’est de chercher une solution à un problème… solution qui plus est se doit d’être définitive… ou au moins présentée comme telle en campagne… et dramatique lorsqu’elle entre en application.

      Pour moi le lieu du combat est la langue, c’est à dire chercher des réponses à des questions.
      Coller de manière adhésive au politique équivaut à chercher ses clés sous le lampadaire parce que c’est éclairé…

      Il va falloir ratisser large pour contourner l’équivoque du langage et la bipartition manichéennement orchestrée.
      Et ceci passe par un certain élitisme…
      Il y a une affaire de dosage je te rejoins là-dessus… ou ? Quand ? Comment ? avec qui ?
      Difficile de répondre quand on voit les décalages entre la France légale et la France réelle.

      PS : Là on touche au limite du net… va falloir envisager une cuite en refaisant le monde 😀

  3. Vincent oui avec plaisir, on se cale ça par mail…

    Mais pour l’élitisme, pas d’accord. il faut aller vers les gens. C’est ce qu’on fait les lecteurs publics pendant la Révolution française, dans la rue ou dans les cafés. C’est ce qu’on fait les Marat (ignoble), Leclerc, Tallien…

    Ils ne viendront pas tt seuls. Et sans lumière ils se torneront vers le veau d’or de la religion d’extrême droite ou d’extrême gauche, c selon.

    Même désoeuvrement, même détresse (rappelle toi, c Moïse qui les a laissé seuls et qui est responsable. Tout comme les journalistes aujourd’hui…

    1. Bon disons que je ne parle pas d’un élitisme qui serait une figure de proue, comme un but clairement affiché, ou quelque chose qui ressemblerait à une ligne éditoriale (si tu savais le mal que j’ai avec les cultureux)
      Mon propos serait plutôt que pour poser des mots sur l’irrationnel, il faille nécessairement passer par des détours pour le moins ténus, ce qui implique une sorte d’élitisme (ou quelque chose qui sera perçu comme tel)… parce que la langue française fonctionne ainsi… et que la bonne vieille pensée franco-française fonctionne ainsi… grossièrement dit le structuralisme (voilà ! j’ai dit un gros mot 🙂 ) qu’on essaie de remplacer par de la novlangue, cette bouillie de langage venue d’outre-atlantique, et qui est l’apanage d’odieux réducteurs de têtes.

      Après je pense aussi que l’on ne peut pas emmener quelqu’un plus loin que l’on a été soi-même… ce qui impose de naviguer pour soi dans un certain niveau d’abstraction… pour moi c’est de l’ordre d’une croyance personnelle et je m’abstiens tant que je peux de verser dans le prosélytisme…

      De par ma pratique socioQ comme on dit… je m’étonne souvent que les mots que je peux entendre de la bouche d’adolescents soit d’égal niveau à la pensée de ceux qui sont censés les accompagner ou les inspirer.

      C’est exactement le même discours que l’on entend à l’université où l’on veut former des techniciens du savoirs dans des filières hyper-spécialisées parce qu’il faut adapter l’université au marché de l’emploi… Pour moi c’est une erreur… rien que parce qu’elle inhibe la création de toute pensée critique…

      Voilà en fait, je dis pas qu’il faille abreuver son monde de concepts comme on assénerait une bonne parole… mais il est nécessaire de laisser entrevoir qu’autre chose existe et proposer à qui le souhaite de t’y suivre…

      PS : pour la cuite je n’ai pas de week-end entièrement dispo avant… ben disons 3 mois 🙂

  4. Sur la une de Libé, ça ne me dérange pas…Et puis ce n’est pas la photo la plus « hard » (on ne voit pas de pénis, preuve que Libé obéit aussi à des codes inconscients ou commerciaux, préférant mettre en une une femme nue qu’un homme nu!)
    Par contre la une de l’Express est odieuse. Ces gens portent une grande responsabilité dans ce qui se passe. Honte à eux.

    1. @Seveg je suis d’accord avec vous, mais ce n’est pas mon propos 🙂

      Oui elle est moche cette couverture, indigne de ce journal que j’estime, ça fait mal…

  5. Sur la une de Libé, ça ne me dérange pas…Et puis ce n’est pas la photo la plus « hard » (on ne voit pas de pénis, preuve que Libé obéit aussi à des codes inconscients ou commerciaux, préférant mettre en une une femme nue qu’un homme nu!)
    Par contre la une de l’Express est odieuse. Ces gens portent une grande responsabilité dans ce qui se passe. Honte à eux.

    1. @Seveg je suis d’accord avec vous, mais ce n’est pas mon propos 🙂

      Oui elle est moche cette couverture, indigne de ce journal que j’estime, ça fait mal…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *