Médias, voici les 10 règles d’or pour bâtir votre communauté. Bougez-vous, il y a urgence !

Bâtir une communauté solide est plus que jamais une priorité pour les médias. Déjà mis de côté par les réseaux sociaux, ils sont en train d’être phagocytés par les plateformes IA. Reste le lien humain, physique. Pour ça, il faut remettre de l’échange, du service et du divertissement dans le produit.

Les commentaires ont disparu de la plupart des grands sites d’information entre 2014 et 2018. L’Express, Le Monde, Libération, Le Figaro ont tous fermé leurs espaces de discussion.

20 Minutes, qui avait poussé l’interaction jusqu’à créer une « une » des lecteurs, a cessé en 2016. Le Post devenu le Plus au Nouvel Observateur ont plié boutique.

La raison ? Simple : le coût de modération dépassait plusieurs milliers d’euros par mois. Et pas question de s’en passer pour autant, tant le niveau des commentaires ouverts à tous contribuait à dégrader l’image des médias eux-mêmes.

On a vu ainsi prospérer des sociétés spécialisées comme Atchik, Netino ou Conciléo en France pour effectuer cette modération déléguée. Et quand la modération était gérée en interne, le coût s’avérait encore plus élevé en temps/homme.

Avec le développement de l’abonnement et des modèles hybrides, la communauté redevient une évidence. Parce qu’il n’y a rien de tel pour fidéliser un lecteur et le recruter comme abonné. Je le répète depuis longtemps : ce que les médias vendent surtout, c’est du lien social, pas des infos.

1. Adopter un modèle économique hybride avec de l’abonnement

C’est donc le premier conseil : avant développer une communauté coûteuse, il faut pouvoir la monétiser Or, la publicité ne finance pas la modération, car les revenus publicitaires sont trop faibles face aux coûts humains. Tant que le marché publicitaire ne valorise pas le temps passé ou l’attention réelle aux contenus, les efforts pour augmenter l’engagement sur les contenus gratuits, sont faits en pure perte.

La première option des éditeurs est de réserver les commentaires aux abonnés, pour susciter une raison de plus de s’abonner. C’est ce que font Médiapart, Le Monde ou le Financial Times, des titres rentables qui peuvent réinvestir leurs bénéfices dans la relation aux lecteurs.

Cette segmentation a une autre vertu : filtrer les trolls et les comportements toxiques. L’abonnement devient alors une porte d’entrée vers un espace privilégié.

La seconde option est de réserver cette partie communautaire aux visiteurs connectés : ceux qui se créent un compte. C’est très malin aussi, car cela pousse les lecteurs à la connexion, qui permet d’une part de récupérer les données utilisateurs et donc se mieux les cibler, ce qui augmente les revenus publicitaires.

C’est aussi une manière d’améliorer les conversions. Une personne connectée à un site à beaucoup plus de chances de s’abonner que si elle n’est pas connectée (de l’avis général des marketeux, mais je n’ai pas trouvé de chiffres, si vous en avez, à votre bon cœur !)

C’est le choix de Ouest France avec son aire communautaire « Ouest France et vous ». L’éditeur parvient ainsi à ménager son audience et à mieux la monétiser. Mais il se prive aussi d’un levier d’abonnement. On ne peut gagner sur tous les tableaux.

2. Mobiliser toute la rédaction

Une fois qu’on a décidé de se lancer, il faut mettre le paquet. C’est là qu’on a besoin des efforts de tout le monde et en particulier de la rédaction.

La communauté ne peut pas reposer sur les épaules d’une seule équipe. Chaque journaliste doit s’impliquer : lire les commentaires sous ses articles, répondre aux questions des lecteurs, participer aux discussions.

D’abord, parce que le journaliste est le mieux placé pour répondre aux questions du lecteur sur son article.

Ensuite parce que ce lien direct avec le lecteur a de la valeur pour lui et le fidélise plus sûrement qu’un article de plus.

Enfin, parce que si toute la rédaction s’y met, cela crée un effet levier autrement plus puissant que le travail de quelques personnes dédiées. L’interaction avec les lecteurs doit devenir la règle, pas l’exception si l’on veut créer du lien.

Cette démarche change profondément le rapport au public, car le journaliste n’est plus un émetteur descendant, mais devient un acteur d’un échange permanent. Et oui, c’est une évolution du métier importante pour laquelle je milite depuis bien longtemps.

C’est une place que les influenceurs ont prise par défaut, mais il ne tient qu’aux rédactions de les imiter, à la manière de Samuel Etienne sur Twitch. En revanche, ça prend du temps (plusieurs années) de développer un lien, donc the sooner, the better.

Chez Mediapart, les journalistes interviennent régulièrement dans les forums. Ils précisent un point de leur enquête, apportent une information complémentaire, débattent avec les abonnés. Cette présence renforce la confiance, humanise le média, crée du lien.

3. Développer des outils interactifs efficaces

Les médias doivent se doter d’outils modernes, car les simples sections de commentaires ne suffisent plus. Il faut des chats en direct pendant les événements importants, des forums thématiques bien structurés, des gestionnaires de discussion comme Logora en France.

Cette plateforme permet d’organiser des débats cadrés, facilite la modération et rend les échanges lisibles. D’autres outils existent : sondages interactifs, quiz, cartes collaboratives.

Chaque format répond à un besoin spécifique. L’important ? Proposer plusieurs modalités d’interaction, car certains lecteurs préfèrent débattre quand d’autres veulent simplement voter ou réagir rapidement. La diversité des outils élargit la participation.

Et pour les petits médias ? C’est le rôle des fédérations et regroupements d’éditeurs comme le Geste de proposer des développements mutualisés, paramétrables et adaptables à la ligne de chacun. Il est illusoire de vouloir à tout prix faire cavalier seul quand les plateformes disposent de ressources immensément plus importantes.

4. S’inspirer des codes des réseaux sociaux

Les médias doivent apprendre des plateformes qui captent l’attention. Le Parisien a intégré des vidéos verticales dans son application. Ces vidéos sont dynamiques, sous-titrées, agrémentées de motion design. Elles reprennent les codes qui fonctionnent si bien sur TikTok ou Instagram.

Ce format est une adaptation intelligente aux usages. Les utilisateurs passent des heures sur les réseaux sociaux. Ils y ont développé des réflexes. Ils scrollent verticalement, ils regardent sans le son, ils attendent du rythme. Un média qui ignore ces habitudes se condamne à l’invisibilité.

L’inspiration ne signifie pas l’imitation servile. Il s’agit de comprendre ce qui fonctionne et de l’adapter à ses exigences journalistiques.

5. Confier l’animation à de vrais journalistes

L’animation communautaire ne peut pas être déléguée à des community managers sans compétence éditoriale. Il faut des journalistes capables d’enquêter pour répondre aux questions des utilisateurs.

Quand un abonné interroge sur un point technique d’un dossier, il attend une vraie réponse. Quand il propose un angle d’investigation, il mérite qu’on le creuse. Chez Tortoise au Royaume-Uni, les journalistes organisent des « slow news » où ils débattent avec les membres. Ils prennent le temps d’expliquer leur démarche.

Ils sollicitent l’avis du public avant de lancer certaines enquêtes. Cette méthode enrichit le journalisme, elle ne l’affaiblit pas. Par ailleurs, elle transforme les lecteurs en contributeurs éclairés.

6. Aller chercher les utilisateurs sur les réseaux sociaux

Une communauté ne se construit pas uniquement sur son propre site. Il faut aller là où sont les gens. Il faut publier sur Facebook, Instagram, LinkedIn, TikTok (Twitter ça ne sert à rien, tant il ne reste que les trolls et les lobbies divers). Il faut diffuser des contenus adaptés à chaque plateforme. L’objectif est de lancer la conversation, puis de la ramener chez soi.

On publie une vidéo teaser sur Instagram. On invite à poursuivre la discussion sur le forum du média. On partage une information sur LinkedIn. On renvoie vers un chat en direct ou un forum sur le site.

Cette stratégie à double détente fonctionne. Elle utilise la portée des réseaux sociaux, mais elle ramène le trafic et l’engagement sur ses espaces propres (encore faut-il les avoir bâtis, cf point 3). De Correspondent aux Pays-Bas a bâti sa communauté selon ce principe. Le média diffuse largement et anime intensément sur sa propre plateforme.

7. Intégrer la rétribution symbolique et le jeu

Une communauté ne doit pas être uniquement un lieu de débat sérieux. Il faut y ajouter du plaisir, de la gamification. Les badges fonctionnent, comme le prouvait Foursquare il y a dix ans (ou Quoi.info, le site que j’avais co-crée en 2010 dont voici une maquette).

On peut récompenser les contributeurs réguliers, créer des classements ou lancer des défis. Les quiz sur l’actualité ou la cuture gé engagent fortement. Les jeux de prédiction sur les événements politiques ou sportifs aussi tel les fantasy football.

La rétribution symbolique joue un rôle crucial. Médiapart a permis à ses membres de publier des billets sur le « Club ». Les meilleures contributions étaient mises en avant. Certaines finissaient en une.

Le journal 20 Minutes avait aussi une « une des lecteurs ». Le contrat était clair : du temps passé contre de la visibilité et de la valorisation sociale. Cette reconnaissance nourrit l’estime de soi, elle fidélise et transforme des lecteurs passifs en ambassadeurs actifs.

8. S’inspirer des mécaniques des jeux mobiles

Les jeux sur smartphones maîtrisent l’engagement. Ils utilisent des systèmes de récompense progressive. Ils proposent des objectifs quotidiens et créent des séquences de connexion.

Et surtout : ils abritent des communautés incroyables qui se coordonnent via forum et chats perso pour lancer des attaques ou des missions. C’est cela le vrai sel de ces jeux.

Voilà qui permettrait d’intéresser les plus jeunes à l’actu, en se basant partiellement sur des quiz de culture générale ou de compréhension des infos (et en renvoyant vers ses vidéos pour permettre de répondre à la question). On pourrait créer des badges, des teams et des classements.

On peut même mixer de vrais jeux selon les publics : casse-têtes, sudoku, wordle, mots-croisés ou même « shoot them up » comme The Mirror. Mais il faut le faire de manière beaucoup plus intégrée aux news pour les 18-25 ans.

Ces techniques ne sont pas manipulatrices si elles sont transparentes. Elles structurent l’engagement et donnent des raisons de revenir à des publics qui se désintéressent de l’actu..

9. Accepter d’investir pendant plusieurs années

Construire une communauté coûte cher. Il faut recruter des animateurs, développer des outils, modérer en continu. Les revenus directs mettent du temps à apparaître. La rentabilité n’arrive qu’au bout de trois à cinq ans.

C’est un investissement de moyen et long terme. Beaucoup de médias abandonnent trop tôt. Ils lancent un forum, constatent que ça ne décolle pas immédiatement et ferment au bout d’un an. Cette impatience est mortelle.

Une communauté se construit lentement. Les premiers membres sont les plus précieux : ils donnent le ton, accueillent les nouveaux et créent la culture du lieu. Il faut les chouchouter et accepter de perdre de l’argent au début. Les médias qui ont réussi ont tous tenu ce pari dans la durée.

10. Proposer des outils d’entraide pratique

La communauté d’un site ne sert pas uniquement à discuter de l’actualité. Elle peut aussi être un lieu d’entraide. Les forums Facebook le prouvent chaque jour. Les gens y échangent des conseils pratiques, ils s’entraident et partagent des astuces.

Un média peut structurer ces usages de manière plus efficace. Il peut créer des forums thématiques : emploi, logement, santé, éducation. Il peut organiser des bourses d’échange de services.

Un abonné propose une compétence, un autre en bénéficie. On peut même imaginer une forme de monétisation légère, sur le modèle du Bon Coin. Un utilisateur pourrait promouvoir son offre moyennant un micro-paiement. Cette approche diversifie les usages de la communauté. Elle la rend indispensable au quotidien, et pas seulement pour suivre l’actualité.

Evidemment, l’intégration de ce genre de service pourrait passer par des partenariats divers (sauf le forum qui doit être intégré à l’adn communautaire du média.

On voit d’ailleurs un grand retour en force de Reddit dans le monde et en France. Je me tue à le dire : Facebook n’est pas aussi utile que les forums d’antan. Il reste de la place pour des outils bien conçus, bien modérés qui recréent du lien, pas de l’affrontement !

Adapter la stratégie au public cible

Ces dix principes s’appliquent à tous les types de médias. Mais la nature de l’animation doit s’adapter. Un média généraliste misera sur la diversité des sujets et la convivialité. Un média spécialisé pour professionnels devra apporter davantage de bénéfices concrets à court terme.

Les journalistes spécialisés devront partager des informations exclusives. Ils devront faciliter le réseautage entre membres. Ils devront organiser des événements en ligne et hors ligne. Un média local insistera sur l’entraide de proximité et les services pratiques.

L’essentiel reste le même : créer de la valeur pour les membres et leur donner des raisons de revenir.
Encore une fois, ce lien est crucial dans la survie des médias de demain. Les créateurs de contenus l’ont bien compris, eux. Il est temps de réagir, vraiment.

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Cyrille FRANK

[Journaliste,consultant, formateur
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