L’IA générative comme outil de productivité est une impasse pour les médias. Gagner du temps, ce n’est pas un modèle d’affaires. Voici sept usages plus malins.
Actuellement, la presse voit surtout l’Intelligence artificielle comme un outil pour faire des économies ou produire plus au même coût (et donc grappiller de la valeur sur l’inventaire publicitaire).
Mais renforcer l’inflation des contenus sur un marché déjà saturé ne va pas améliorer la valeur de chaque contenu produit. Voici au contraire quelques exemples recensés par l’EBU (Européean Broadcasting Union, pdf en anglais) pour aller plus loin.
1. Limiter les tâches éditoriales répétitives
C’est le premier niveau d’usage de l’intelligence artificielle générative.
Traduction, transcription et sous-titrage automatisés sont massivement utilisés. La BBC, Sveriges Radio (SR), la radio publique suédoise; Bayerischer Rundfunk (BR), la radio publique bavaroise y ont recours. Ces tâches ne nécessitent pas une précision parfaite et permettent un gain de temps notable, à condition d’offrir une édition manuelle pour corriger les inévitables erreurs.
Le gain de temps provient aussi de l’intégration de ces fonctions aux outils de production, avec l’harmonisation (bible orthotypographique par exemple) qui va de pair.
2. Aider à l’écriture et à la réécriture
BR utilise des assistants IA pour décliner un article sur plusieurs supports (TV, radio, web).
Yle, le service de radio-télévision publics finlandais, emploie un outil pour améliorer la clarté et la qualité du style.
Jerry, le « contrôleur de jargon » analyse les textes rédigés par les journalistes et signale les termes complexes, ambigus ou trop spécialisés, en suggérant des alternatives plus claires et accessibles pour le grand public.
Ce chatbot répond aux questions du public en s’appuyant uniquement sur le contenu publié par SR (et non sur des bases externes ouvertes).
4. Accompagner les journalistes
La RTS (Suisse) a conçu un assistant « BakerStreet » qui permet aux collaborateurs de transcrire ces contenus, de les traduire, de les résumer ou d’interagir avec eux grâce à une librairie de prompts, partagée à toute la SSR (société suisse de radiodiffusion).
Mais l’outil est beaucoup plus complet encore : il suggère des angles de suivi sur une actualité, grâce à l’intégration des user needs, modèle stratégique décrivant les besoins du public.
L’IA ne doit pas simplement nous permettre de produire des contenus, mais avant tout nous aider à répondre aux besoins de notre public.
La Sveriges Radio a adopté également ce modèle sous le nom de « vinkelkompisen », en français un « compagnon d’angle », sorte de coach éditorial intégré dans le CMS.
Yle, pour sa part, a développé YleGPT, une interface maison, basée sur des modèles de langage, conçue pour un usage sécurisé en interne.
Cet outil permet aux journalistes de tester des usages de l’IA générative sans risque de fuite de données ni erreurs publiques. L’outil aide à reformuler des dépêches d’agence, simplifier le langage, corriger des textes, ou adapter le ton à celui de Yle. 75 % des journalistes l’utilisent régulièrement.
5. Modérer et structurer les commentaires
BakerStreet permet également d’analyser la tonalité des commentaires laissés sur les plateformes de la RTS pour déceler des tendances comme la news fatigue ou, au contraire, un engagement fort sur certaines thématiques. Les possibilités sont multiples, et développées en continu.
BR expérimente de son côté un « comment digest », un résumé automatique des contributions des internautes. L’outil identifie les thèmes récurrents, synthétise les points de vue. – Il permet aux journalistes de voir rapidement l’état du débat sans devoir tout lire. – Il peut aussi valoriser la parole du public dans les articles, newsletters ou à l’antenne.
6. Rechercher dans les archives
JP/Politikens Media Group utilise l’IA pour rechercher dans les archives et produire des encadrés d’information automatiquement.K
Le groupe danois a intégré l’IA dans le CMS (système éditorial interne). L’IA scanne les archives du groupe (articles passés, données internes, dossiers, photos légendées, etc.). Lorsqu’un journaliste rédige un article, l’outil suggère des liens internes, des extraits contextuels déjà publiés, des éléments factuels pour enrichir l’article.
Exemple : un journaliste traite un sujet politique (ex. : élections). L’IA peut lui proposer :
Une chronologie automatique des positions du parti
Un encadré “Ce qu’il faut savoir” extrait d’un précédent article
Une citation clé publiée dans une interview antérieure
7. Synthétiser la voix et créer de rares avatars
Certains médias publics utilisent des voix clonées dans des cas sensibles (documentaires, protection de sources), mais évitent les avatars pour ne pas nuire à la confiance du public.
La ZDF allemande par exemple utilisedes voix synthétiques dans des documentaires ou des reportages, mais uniquement pour restituer la voix d’un protagoniste décédé ou protéger une source dans une enquête. Cela renforce l’intimité narrative ou la sécurité, sans recourir à un comédien.
Remplacer des présentateurs humains par des avatars n’a aucun intérêt éditorial. Cela dévalorise l’information. »
Les rédactions privilégient encore l’humain dans les formats d’actualité, car la confiance repose sur la présence incarnée.
Ce n’est plus tant la création de contenu qui définit sa valeur que la capacité à en extraire du sens, à articuler les faits, à poser un regard critique résume Meta-Media. L’IA générative ne remplace les journalistes. Elle les recentre sur une fonction plus complexe, plus stratégique : la fabrique de sens.