La double-vérification de l’information est l’une des règles de base les plus importantes du journalisme. La vitesse croissante de l’information, en partie liée à l’irruption des réseaux sociaux, bouscule hélas, ce sacro-saint principe.
« Ton info est-elle confirmée par une autre source » ? Ce precept elle l’un des plus fréquemment rabâchés en école de journalisme. L’un des piliers du métier qui ne tolère pas d’exception, ou presque.
Avant d’être claire, précise ou rapidement diffusée, l’information doit être juste. Cela semble évident et pourtant, ce principe n’est pas toujours appliqué, ni applicable, vu l’organisation des rédactions.
D’abord, il y a une confiance par délégation d’autorité auprès de l’AFP. Celle-ci produit une part importante des news pour l’ensemble de la presse et des médias. L’agence propose chaque jour des milliers de dépêches, photos et autres infographies, qui sont reprises telles quelles, par leurs clients.
Les médias ne peuvent remettre en cause la fiabilité des informations de l’AFP, ils n’en ont pas les moyens. Voilà pourquoi, la moindre erreur de l’AFP a des conséquences dramatiques sur l’ensemble des informations du pays.
On se souvient du raté de l’AFP qui avait faussement annoncé la mort de Martin Bouygues. Dans ce cas, ce n’était pas le journaliste lui-même qui était le plus fautif, mais bien sa hiérarchie. Les responsables de l’agence avait donné le feu vert à la publication de la dépêche, avant la validation de la famille. Il y avait bien eu double-vérification, mais il manquait LA source incontestable.
La pression économique multiplie les erreurs
Dans cet exemple, comme souvent, c’est le management et la direction qui poussent à être plus rapide que le concurrent, et conduisent les journalistes à l’erreur.
Je me rappelle de ce chef de rubrique d’un grand quotidien national, lors d’une de mes formations sur les réseaux sociaux et Twitter. Il me propose un cas pratique : un compte Twitter d’une source gouvernementale annonce une mesure importante.
Le journaliste me demande : « dois-je en faire un article ou une brève » ? Nous commençons par valider l’authenticité du compte Twitter. Mais je constate qu’il ne s’agit pas du ministère concerné par la mesure. J’invite donc le journaliste appeler le bon ministère pour valider cette information. Il pousse alors un cri de joie : « ahhh, j’appelle tout de suite mon rédac’ chef, je veux que tu le lui dises » !
Cet exemple n’est pas un cas isolé. On sent que la pression sur l’audience et sur les chiffres publicitaires poussent certains à prendre des risques.
Dans le raté de Bobigny (voir la présentation ci-dessous), nous sommes confrontés à un cas similaire. Une source officielle relate via un communiqué diffusé sur Twitter une information sur la manière dont se sont produits certains évènements. Selon la préfecture de police de Bobigny, des CRS sont venus secourir une fillette, qui se trouvait dans une voiture en flammes, après une manifestation qui a dégénéré.
Officiel ne veut pas dire « vérifié »
L’information est reprise par un journaliste qui la considère comme automatiquement vérifiée, car elle est officielle. Et c’est là l’erreur. C’est avoir grande foi en la parole politique ! Surtout dans un cas comme celui-ci, où le but du jeu est de décrédibiliser la partie adverse (les casseurs) ! D’autre part, un témoin peut se tromper en toute honnêteté, comme le savent bien les enquêteurs judiciaires.
Même quand il ne s’agit pas d’un évènement brûlant, il convient d’avoir toujours deux sources au moins, pour avoir une idée de vraisemblance. Chiffres Médiamétrie et Comscore, chiffres de l’insee et d’Eurostat, etc.
Et surtout se méfier de certaines sources, comme celle du ministère de l’intérieur : l’ONDRP, noyauté par Alain Bauer, intéressé aux chiffres alarmistes qui fournit.
Reprendre l’info du voisin, un pari risqué
A l’exception des dépêches de l’AFP vérifiées et re-vérifiées le plus souvent, il faut se garder de reprendre l’information de ses voisins. On ne sait rien du sérieux ni des processus de vérification de ses collègues. Et par définition, il faut être méfiant et valider l’information soi-même.
Surtout à une époque où le temps s’accélère et où les moyens s’amenuisent dans les rédactions.
Il est difficile de mesurer le coût d’une erreur, car le plus souvent l’effet n’est pas immédiat. Il contribue à abimer la confiance des lecteurs et, plus grave des abonnés.
Combien ne se réabonneront pas à cause de ça ? Impossible de le mesurer, mais il est sûr que ce n’est en tout pas un facteur d’adhésion. Cela doit suffire à redoubler d’attention, à l’heure où les modèles mixtes sont désormais la norme dans la presse.
On a le droit de se tromper, mais il faut le reconnaître !
On peut se tromper quelquefois (pas trop quand même), pris dans le feu de l’action, avec des équipes un peu junior, ou par un malheureux concours de circonstance (ex: l’homonyme de Martin Bouygues, l’identité confirmée par un élu).
Mais en ce cas, on le reconnaît, on corrige et l’on s’excuse. On ne met pas la poussière sous le tapis, comme certains journaux dans le ratage de Bobigny.
C’est vital aujourd’hui pour garder la confiance des lecteurs, qui ne sont pas idiots et ont toutes les chances d’avoir vu passer votre bévue. Corriger sans rien dire n’est pas suffisant, même si c’est mieux que supprimer l’article, l’air de rien.
A l’heure du complotisme et de la défiance médiatique, il est important de dire qu’on a eu tort. Cela peut renforcer au contraire le crédit du média qui reconnaît n’être pas infaillible, ce dont personne ne doute.
Contrairement à ce que beaucoup croient, ce n’est pas tant l’erreur qui est grave. C’est le déni et la mauvaise foi. Reconnaître son erreur crée une proximité au lecteur qui peut enfin se dire : voilà au moins des gens honnêtes. Cela dit, il vaut mieux éviter de se tromper trop souvent, naturellement… Et cela, seule l’expérience, le travail et un minimum de sérénité dans le process de production, peuvent le garantir.
Cyrille Frank
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