La transformation numérique était au coeur du Congrès annuel de la presse hebdomadaire régionale des 2 et 3 juin 2022, à Aix-les-Bains. Un sujet complexe qui embrasse des aspects techniques, éditoriaux, organisationnels, managériaux. D’autant que les moyens sont limités.
La PHR réunit 22 millions de lecteurs, dont environ 11 millions en presse papier (et 85% sont aussi ou exclusivement numériques – en incluant les pdf). Et à près de 60% lisent l’information sur mobile.
David Sallinen, d’Upgrade Media, a rappelé le basculement vers le modèle de l’abonnement qui est devenu la priorité, face à la baisse tendancielle des revenus publicitaires.
L’enjeu a t-il poursuivi est de gérer anciens clients (ceux du papier) et nouveaux (supports numériques). Souvent, la première étape adoptée par les journaux est de passer au « web first « ou « web to print ». Problème : on n’adapte pas assez les contenus aux différents publics et canaux de diffusion.
Pourtant, selon David Sallinen, inutile de changer tous ses contenus pour mieux transformer, 10 à 20% peuvent suffire si bien pertinents et bien exposés.
Par ailleurs, les médias ne soignent pas assez la promotion et la diffusion des contenus qu’ils produisent. Sans doute, la conséquence d’une culture orientée vers la production de contenus plus que vers le marketing.
Une des astuces pour maximiser l’efficacité de son travail est d’assigner des objectifs à chacun des contenus produits : acquérir des lecteurs, les fidéliser, acquérir un savoir-faire, motiver les journalistes (outil de management)… Ce faisant, on améliore aussi la qualité de la production « print ».
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Suivre et analyser les données utilisateurs
Les outils d’AB testing permettent aussi de valider l’efficacité des formats, afin de les améliorer.
Travailler avec les data est une nécessité pour comprendre les besoins réels de ses cibles. Par rubrique / par format / par cible… Ex. la longueur et précision du titre impacte positivement l’engagement.
C’est ce que j’expliquais en 2018 à La Dépêche du Midi lors d’une conférence : Comment les médias tirent parti des données (pdf)
Par ailleurs, il y aussi un enjeu autour du travail collaboratif et pluri-disciplinaire afin de créer les bons formats. Faire travailler régulièrement un journaliste, un développeur et un designer nécessite à la fois de l’organisation, du management et de la formation.
Formats et outils pour mieux monétiser la publicité
Pour Vincent Grandin, responsable du pôle digital du groupe Rossel, la publicité locale étant n’a pas forcément besoin de volumes énormes, car elle joue sur l’affinité des publics. Deux formats émergent pour se différencier de Google et Facebook, au delà de la bannière traditionnelle : les contenus sponsorisés et les videos.
Côté audience, les indicateurs importants à suivre sont les visiteurs uniques, pages vues, sources de trafic et un nouveau venu : le taux de consentement. Combien de vos visiteurs ont accepté le recueil de cookie (qui détermine l’affinité de vos pub et donc leur efficacité pub).
Côté monétisation, il faut surveiller le taux d’occupation (% d’impressions publicitaires sur l’inventaire total des pages), le CPM moyen (coût pour mille afficha de ces espaces), et le RPM (revenu pour mille pages).
Les outils sont importants (monitoring d’audience, adservers etc.) qui doivent être bien paramétrés, maîtrisés et respectueux du fameux RGPD (règlement général sur la protection des données)
Mais il est surtout crucial de former les équipes commerciales et éditoriales, afin d’expliquer et transmettre les bonnes pratiques. Chez Rossel, des ateliers sont organisés sur ces sujets tous les deux mois !
Ceci nécessite un minimum d’investissement financier dans les outils technologiques et savoir-faire (recrutement), ainsi qu’un effort constant d’adaptation pour cette course à l’innovation.
Créer des contenus différenciants pour engager ses lecteurs
Jean Abbiateci est venu nous parler de newsletter, un format engageant, accessible et facilement monétisable. Sa création, Bulletin revendique 35.000 abonnés gratuits et des taux d’ouverture et de lecture hors-normes (plus de 50% et 30%). Et ce après seulement deux ans !
Cette infolettre hebdomadaire de curiosité répond à une double ambition : créer un produit éditorial optimiste, et être rapide/agréable à lire dans un monde d’infobésité où personne n’a le temps.
Bulletin est un produit soigné sur le plan de l’écriture et du design. Des « cartons » proposent des formats spécifiques, concis et précis : « chez nos voisins », « dico des mots », « à picorer »… L’identité graphique joyeuse et colorée est immédiatement reconnaissable et participe au succès de la newsletter.
Côté modèle d’affaires, Jean a diversifié ses sources de revenus qui lui permettent aujourd’hui d’en vivre :
- Revenus lecteurs (abonnements payants)
- Revenus annonceurs (pubs/sponsoring)
- Revenus de l’édition (avec la publication du « dico des mots extraordinaires »)
- Revenus studio (formation, conseil, production édito)
Jean-Charles Verhaeghe, directeur délégué chez Nord Littoral, se concentre pour sa part sur le développement des formats audio. Ex. le podcast « une journée pas comme les autres », les coulisses de la production de l’info des localiers.
Nord Littoral dispose d’un budget réduit : enregistreurs individuels portables, montage Audacity. Et le succès est limité aujourd’hui (3000 téléchargements), mais c’est un investissement qui alimente progressivement l’inventaire programmatique (et donc les revenus à terme).
C’est aussi une vitrine pour de la production de contenus monétisables, eux. (ex : les podcasts réalisés en brand content pour Le Louvre Lens)
Les bénéfices sont également indirects, notamment en termes de management : ces formats permettent d’identifier les talents, et de remotiver les journalistes.
Jean-Baptiste Decroix directeur du développement (et rédacteur en chef!) de La Gazette de Montpellier est venu présenter son application Gazette Live, dédiée aux sorties culturelles de la région : calendrier des 1000 événements accessibles par date, rubrique, mot clé, localité…
Objectifs de cette application : fidéliser les fans de l’agenda, recruter de nouveaux lecteurs (plus jeunes), promouvoir les abonnements payants (avec une offre à un euro lancée en même temps).
Dans ces trois exemples, le temps de production est à prendre en considération. Pour Bulletin, la maturation du projet a pris un an et demi (de la conception, au peaufinage du modèle qui permet désormais de déployer des éditions très rapidement (un jour hors écriture).
Pour La Gazette de Montpellier, le lancement de l’appli a pris un an car il y avait aussi un impact sur l’outil de publication du print (les contenus crées sont récupérés pour l’édition papier).
Pour Nord Littoral, c’est un investissement sur une durée longue aussi (sans doute plusieurs années), sans parler de l’investissement en termes de RH.
Education aux médias : retrouver la confiance du public
Marie-Anne Denis, directrice générale du groupe Milan Jeunesse, et Etienne Millien directeur de l’Alliance pour l’Education aux médias (@APEMedias), ont souligné l’importance de cet enseignement.
Celui-ci ne doit pas être cantonné au jeune public et écoliers. Selon eux, c’est aussi un travail à mener auprès des lecteurs adultes. Ce n’est pas qu’une affaire de journalistes. Il implique aussi un travail au sein des médias eux-mêmes !
Milan Jeunesse a de nombreux initiatives / projets en la matière à travers notamment leur plateforme « un jour, une actu » dédiée aux enseignants. Plusieurs objectifs :
- S’informer et comprendre
- Débattre, développer son esprit critique
- Produire de l’info
- S’engager dans l’actualité
Le groupe de presse jeunesse propose un partenariat original avec la PHR : mettre à leur disposition des pages sur le sujet. Il y a donc échange contenus contre visibilité au service d’une cause valorisante et utile.
Autres initiatives de l‘APEMedias : la semaine de la presse en partenariat avec Le CLEMI, un parcours médias en ligne, le financement des interventions en classe via le pass culture (cumul possible des droits de chaque élève pour financer un intervenant). Inscription auprès des DRAC (directions régionales des affaires culturelles).
Projets 2023 de l’APE Medias : la caravane de l’info (prêt d’une caravane aux médias), et formation certifiante en éducation aux médias.
Education au sein de l’école, quelle complémentarité ? L’Education nationale a une grosse responsabilité (mais pas assez de moyens – de temps ou d’outils), d’où l’appel récent à faire de l’Education aux médias une cause nationale. Les médias peuvent toutefois aider en fournissant outils/contenus aux enseignants pour les aider.
Cyrille FRANK
[Consultant, formateur, conférencier] voir mon cv plus détaillé
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