L’information politique en télévision s’attache plus aux tactiques politiciennes qu’au fond. Par contrainte économique, démagogie, manque d’expertise…
Le 10/06/2011
C’est l’une des questions que soulève Narvic dans son dernier billet riche et passionnant. Voici quelques hypothèses…
1. Il faut simplifier
Le grand public est ignare, et le format télévisuel est trop court pour s’attacher au fond. Reste donc les questions de tactique, de petite politique : les attaques, les petites phrases, les ambitions… On a droit de façon systématique à cette question cul de sac : « serez-vous candidat à la prochaine élection? » Laquelle donne lieu à la traditionnelle réponse « langue de bois » : « je ne me préoccupe pas de cela pour le moment, ce sont les Français qui m’intéressent et ma mission actuelle blabla… »
Ce parti-pris s’appuie sur un mépris plus ou moins conscient du public : « ils ne peuvent pas comprendre ». Le monde est devenu tellement complexe, comment voulez-vous faire comprendre les différentes mesures fiscales, au coeur de la politique des partis, à madame Michu qui ne maîtrise pas les bases de l’économie ? Autant demander à un aveugle analphabète de lire Proust.
2. Il faut donner au public ce qu’il veut
Le lecteur se fiche littéralement du fond, contrairement à ce qu’il clame. Si l’on devait croire les déclarations des enquêtes lecteurs, tous liraient Le Monde ou le Courrier international, et aucun ne s’intéressait à Voici ou Closer.
Sauf que les premiers ont un tirage bien moindre (sans parler du nombre de lecteurs beaucoup plus important en presse people, en raison de la forte duplication, chez le coiffeur notamment 🙂 . Ce qui séduit le lecteur c’est le léger, le divertissant le sordide… A quoi bon tenter de forcer sa nature ?
3. Il faut permettre aux médias de survivre
D’autant que la contrainte économique est de plus en forte sur les médias. Si la course à l’audience devient un critère permanent sur les émissions d’information, comme le JT de 20h, il devient impossible de lutter contre les infos people, insolite, faits divers proposées par le concurrent. C’est comme proposer à ses enfants des lentilles, quand la belle-famille leur offre des fraises Tagada. Le combat est inégal à la base et perdu d’avance, du moins sur le plan quantitatif.
D’où les contorsions où sont conduits les éditeurs de presse pour vendre leurs canards avec des couvertures accrocheuses, voire racoleuses. D’où leur propension à orienter les débats vers des questions polémiques qui plaisent, suscitent l’attention et font parler de soi (publicité gratuite).
4. Il y a une prime aux polémiqueurs
Toute controverse susceptible de « buzzer » vaut à son auteur récompense et estime de sa direction ou des concurrents. C’est la capacité de Marc-Olivier Faugiel à entrer dans le lard de ses invités, notamment politiques, qui l’a propulsé en télévision.
Comme ce sont les prises de bec entêtées de Nicolas Demorand qui ont assurément fait monter sa cote au mercato médiatique et sans doute en partie valu sa nomination à Libération.
La mesure, la discrétion, le travail patient de fourmi ne sont décidément pas des valeurs à la mode dans cette course à l’attention. Compétition dans laquelle les médias, comme les individus, doivent agiter bien fort les bras pour se faire remarquer.
5. La polyvalence a des limites
Pour poser les bonnes questions, il faut avoir une idée des réponses possibles et donc une excellente culture spécialisée en politique. Or en télévision comme en presse, ceux qui tendent à prendre la parole sont de plus en plus des généralistes avec une bonne plume. Ce que Versac appelle le syndrôme Raphaëlle Bacqué.
Quand ce ne sont pas purement des amuseurs, comme Michel Denisot choisi par le Président de la République pour l’interviewer (pratique en soi d’un autre âge) et dont les questions ont exclusivement porté sur des questions de tactique et jamais sur le fond. Le côté inoffensif de l’interviewer, n’est sans doute pas étranger à ce choix, comme l’incroyable longévité d’un Alain Duhamel, désespérément insipide, en dépit de ses grands airs inspirés.
La solution ? Sortir la politique du champs concurrentiel
Pour améliorer la qualité des débats et des question politiques en télévision, la première chose est de sortir cette thématique du champ concurrentiel. Plutôt que mettre fin à la publicité après 20h sur le service public, le Président eut été mieux inspiré de donner au service public la garantie de perdurer.
Et ce, indépendamment de l’audimat, en particulier s’agissant des JT, lieu crucial de l’information politique pour la majorité des Français. Le JT de TF1 devant celui de France 2 ? Chouette, ma redevance sert à quelque chose.
Au risque de me répéter, s’il faut donner au public ce qu’il veut, il faut aussi lui proposer ce qu’il ne sait pas encore qu’il veut. C’est le fameux paradoxe de l’oeuf et la poule. Pourquoi voulez-vous que le public demande autre chose, si on ne lui propose jamais rien d’autre que ce qu’il aime et apprécie déjà ?
C’est la frilosité des médias qui est en cause ici, qui préfèrent jouer les valeurs sûres de la petite politique ou du débat controversé, plutôt que le risque de la profondeur. C’est aussi le manque de créativité dans l’absence de formats qui pourraient concilier les deux. Il nous faudrait des vulgarisateurs politiques comme Michel Chevalet dans le domaine scientique, ou qui viennent nous expliquer, schémas, cartes ou modélisations à l’appui les enjeux du débat.
Il faut des dispositifs de traitement de l’information en temps réel qui permettent aux journalistes de corriger une mauvaise information ou un mensonge des politiques au moment où ce il est proféré. Et s’inspirer de sites comme Politifacts et son Truth-o-meter qui apporte un emballage attrayant aux questions de fond : quel est le degré de vérité de telle ou telle assertion ?
Il faut croire en l’intelligence des gens et se remettre en question plutôt que d’accuser la bêtise des autres. Le sujet est bien souvent moins en cause que le format proposé. Ne rejetons pas systématiquement les sujets difficiles au motif qu’ils feront peu d’audience. Sur le long terme, les médias qui survivront seront ceux qui auront réussi à préserver le fond et la forme et satisfaire des besoins différents : de divertissement, de socialisation, mais aussi de sens.
Il faut un minimum de spécialisation des journalistes, les fameux « rubriquards » autrefois incollables dans leur domaine, aujourd’hui bien souvent retraités. Comme disait Henri Béraud, « Le journalisme est un métier où l’on passe une moitié de sa vie à parler de ce que l’on ne connaît pas et l’autre moitié à taire ce que l’on sait. »
Cyrille Frank
Bah ! De toute façon avec la politique c’est soit le spectacle, soit la rhétorique et la langue de bois. Roulez, roulez petits bolides la courses à l’échalote est ouverte… 🙂
Et oui Vincent ça va être reparti pour un tour de maboules… 🙂
Salut 😉
J’aime bien me souvenir de cette phrase que répétait Jacques Chancel (pour les plus jeunes: ancien animateur radio et télé, qui faisait de très fortes audiences en prime time… quand il n’y avait qu’une seule chaine de télé!): « plutôt que de donner aux gens ce qu’ils aiment déjà, essayer de leur proposer ce qu’ils pourraient aimer ».
Cette approche me semble intéressante: elle ne prend le public ni pour un ignare, ni pour un expert, et elle conserve aux journalistes un rôle de découvreurs, d’initiateurs, de pédagogues…
Hélas je connais bien Jacques Chancel qui a bercé ma jeunesse télévisuelle…
Hélas, car c’est signe de mon âge canonique.
100% d’accord avec cette proposition ov cource 🙂
Pour moi, c’est surtout le goût de la polémique (qui dope l’audience) qui me paraît l’élément le plus important. La politique, c’est compliqué, les décisions sont techniques, donc ce qu’on retient, c’est qu’il y a un conflit. A chaque fois, les journalistes se focalisent sur le conflit.
Il y a aussi le manque de temps, qui force à aller au plus simple.
Bonjour Eric,
Dans ma hiérarchie je place le besoin d’audience avant le goût du public pour la polémique, qui n’est qu’un penchant qu’on exploite parmi d’autres.
Il y a aussi bien d’autres goûts plus ou moins reluisants faisant appel à nos instincts primaires et on ne les exploite pas tous, à l’exclusion des pires torchons de la presse britannique ou populaire française.
Le manque de temps ? C’est une question de priorités et de choix éditorial. Les moyens existent quand il s’agit de couvrir un évènement international à fort potentiel émotionnel donc d’audience (cf libération Bettencourt ou des mineurs chiliens). On pourrait lancer une enquête assez laborieuse et coûteuse sur les rapports de force au sein des partis (notamment au ps), disséquer les différentes propositions économiques, les comparer et les expliquer. Mais cela coûte de l’argent et n’est pas rentable.
Je prétends néanmoins que c’est le rôle du service public de ne pas être rentable sur l’info citoyenne. Et que si elle doit se rattraper, qu’elle le fasse sur de la fiction (cf mon papier le salut viendra du divertissement)
Mais le mieux du mieux c’est de concilier complexité et popularité. Mais cela demande de l’imagination, des efforts, sans garantie de succès.
Plus facile à dire qu’à faire je le concède…
Peut-être que j’aurais raté les discrets supports sur lesquels les politiques parlent du fond, mais j’ai l’impression que la pierre n’est pas à jeter sur les medias.
Pour moi, si, en effet, la polémique fait plus vendre que le fond, les médias n’ont fait que suivre l’évolution des prises de parole des politiques.
Les politiques n’ont aucun fond. Ce n’est un secret pour personne, pour se faire élire, il faut se donner une image, savoir gagner les débats sur la forme, lancer deux ou trois buzz, et savonner la pente de ses adversaires. A aucun moment le fond n’est important, d’où le glissement des politiques (remarque, mon jeune âge m’empêche de savoir s’il en a un jour été autrement) vers la forme et la polémique.
Tant que nos chers dirigeants seront aussi médiocres (comprendre: penser à leur carrière avant de penser à leurs concitoyens) la situation n’évoluera pas. Les médias pourront toujours progresser, il leur manquera la matière première: des idées et des actions.
Bonjour Jean,
Ah encore une fois la question de l’oeuf et la poule… Les médias s’adaptent-ils au discours des politiques ou est-ce l’inverse ?
Vous avez raison de souligner la responsabilité des politiques qui n’est pas mince. Il y a de fait une pénurie de doctrine politique au sens noble du terme. C’est à dire un système cohérent et ferme de pensée en vue d’une organisation efficace de l’Etat dans l’intérêt du plus grand nombre. Les politiques sont en effet plus souvent en posture d’adaptation que de direction politique. Ils vont du côté où le vent souffle, d’où le patinage dans la semoule car le vent change souvent de sens.
Il y a assurément un effet d’entraînement mutuel entre médias et politiques et pour cause : ils proviennent de la même caste, ont fait les mêmes études et fréquentent les mêmes endroits. Quand ils ne se cooptent pas directement via des soirées « copinage » du genre du « Siècle » récemment mis en lumière.
Mais en télévision en particulier, les journalistes pourraient quand même faire beaucoup mieux et beaucoup plus. Comme s’intéresser davantage aux programmes qu’aux tactiques, comme préparer davantage les sujets pour apporter plus de contradiction, comme faire venir des spécialistes sur les sujets complexes (fiscalité, droit du travail etc.)… Reformuler la question quand la réponse est éludée, ne pas chercher à coincer son interlocuteur mais au contraire à en tirer le meilleur en termes d’informations etc.
Il est vrai qu’en télévision, la longue tradition de soumission au pouvoir via la nomination des patrons de chaîne et des interviewers officiels, ne facilite pas l’indépendance des journalistes… Et cela ne va pas en s’améliorant depuis que le Président de la République nomme directement les pdg du service public sans même passer par les suggestions du CSA.
Je ne suis pas sûre que l’info politique soit « pauvre ». Je la perçois surtout comme subjective. Je n’aime ni Le Monde ni Voici et j’ai du mal à trouver un quotidien qui réponde à mes critères : articles de fond bien documentés et sans parti pris, légèreté assumée sur des sujets plus futiles. Du coup, je lis La Croix pour ses analyses, Elle pour la futilité et le Figaro Littéraire du jeudi, à mon sens le meilleur pour les critiques de livres.
Pour moi, la presse souffre de deux défauts majeurs qu’il faut cesser d’imputer aux politiques : un travail de recherche de sources négligé pour cause d’immédiateté de la société (d’où la phrase souvent entendu ici et là : « Les journalistes disent n’importe quoi ») et un ton qui est soit complètement atone (cf notre discussion au sujet d’un certain blog) ou au contraire d’un parti pris gênant.
je reproche aussi aux articles que je lis un manque d’appel au lecteur : très peu de questionnement dans un article journalistique, toujours dans l’affirmatif. Pas assez d’ouverture dans le rapport au lecteur.
Conclusion: je recherche tj du factuel bien écrit qui débouche sur une question posée. J’ai l’impression que le journaliste voit l’interrogation comme un aveu de son impuissance, alors que je la perçois comme une leçon d’humilité et une tentative de dialogue avec son lectorat.
Bises, Cyrille
Bonjour Valérie,
Toujours plaisant de répondre à tes commentaires pertinents 🙂
Ma critique s’attache à l’information politique « grand public » et plus particulièrement en télévision. Je vois bien qu’au global, nous sommes potentiellement bien mieux informés aujourd’hui qu’hier. La multiplication des sources, Internet, la « gratuité » de l’info… Sauf que concrètement la grande majorité continue de s’informer via la télévision, surtout s’agissant de la politique. Il n’y a guère que les classes socio-culturelles instruites qui lisent la presse de ce type (je mets de côté l’info de proximité régionale très dépolitisée).
Toi tu fais même encore mieux : tu combines plusieurs sources, pour obtenir de la diversité et complémentarité de points de vue. C’est ce que je fais aussi via mon lecteur de flux RSS. Mais nous sommes statistiquement peu nombreux, toujours pour les mêmes raisons sociales, même s’il y a des exceptions bien sûr.
Pour la presse en général, je suis bien d’accord : l’immédiateté et la concurrence exacerbée qui déséquilibre l’info au détriment du sens. Et qui rejoint l’une de mes recos.
Je partage aussi tes deux derniers points même s’ils peuvent être parfois contradictoires. La recherche de « ton » peut aussi conduire à prendre des positions et apporter un point de vue, a priori peu tourné » vers la question.
Mais tout dépend ensuite de la discussion qui suit. Sur les blogs (celui-ci en tout cas), les points de vue ne sont que des prétextes à la discussion qui suit. C’est là que se trouve finalement la vraie richesse, dans l’échange collectif et l’affinement des arguments. Certains articles et leurs commentaires permettent parfois de faire un tour complet d’un sujet avec échange d’arguments et contre-arguments (je me rappelle certains articles-dossiers brillants chez versac, maître Eolas ou Hugues Serraf)
Les lecteurs que nous sommes sont ambivalents. Nous voulons des réponses à nos questions : pourquoi la crise ? pourquoi la révolution en Tunisie ? Et en même temps, nous avons tendance à privilégier les réponses qui conforment notre schéma de pensée originel. Et à rejeter les réponses qui ne cadrent pas.
C’est un phénomène classique en psychologie sociale qui permet de garder une cohérence et une assurance motrice en société.
Le doute est déstabilisateur et peut même être inhibiteur quand il est trop poussé. Donc quand on réclame de la discussion, de la diversité de points de vue, on n’est pas toujours très honnête avec soi-même.
Je ne parle pas de toi, tu es une exception manifeste 🙂
J’essaie moi-même de rester ouvert : la preuve j’ai même promis à Narvic de lire en détail les propos de Mélenchon !
A une prochaine ! 🙂