La disparition des médias locaux réduit l’accès aux faits. Elle baisse la participation citoyenne et nourrit les rumeurs. Le risque est majeur pour la démocratie.
L’étude Kantar/ShoWhere – commandée par la Fondation Jean Jaurès et les Relocalisateurs – rappelle que les médias traditionnels restent centraux. Au total, 86 % des Français utilisent souvent ou très souvent un média traditionnel pour s’informer.
La télévision nationale et locale, en cumul, atteignent 65,5 % de la population. La radio, elle, touche pas moins d’un Français sur quatre. Les réseaux sociaux, pour leur part, sont utilisés par 29 % des citoyens pour s’informer. Cette montée modifie les habitudes, comme on va me voir plus loin. Elle fragilise aussi la place des rédactions locales dans l’écosystème.

Quant aux médias locaux, ils jouent un rôle vital dans l’information des Français : 55 % d’entre eux en consultent au moins un. Ils offrent des repères, créent du lien et connectent les citoyens à leur territoire.
La télévision locale reste la source la plus utilisée par 78 % des consommateurs d’info locale. La presse locale garde par ailleurs une audience régulière : 32 % des lecteurs la consultent très souvent. Ces chiffres montrent un besoin d’information de proximité solide.
Quand l’offre baisse, la consommation chute aussi
La corrélation entre densité de médias locaux et consommation atteint 64 %. Plus l’offre médiatique recule, plus l’usage s’effondre. Dans les zones les moins dotées, la part des consommateurs réguliers tombe sous les 20 %.
À Paris et dans sa banlieue ouest, la consommation globale reste forte, mais la consommation spécifique de médias locaux est faible.
Dans l’Oise, les villes comme Beauvais, Compiègne ou Creil figurent en bas du classement national avec des taux autour de 35 %, contre plus de 55 % dans des villes comme Quimper ou Biarritz. Ces écarts façonnent la santé démocratique des territoires.

Sans médias, les citoyens s’éloignent du collectif et du vote
L’enquête montre aussi un lien puissant entre information et engagement. Deux tiers des Français participent à au moins une activité citoyenne. Ce taux grimpe à 27 % de participation à la vie communale chez les lecteurs réguliers de médias locaux, contre seulement 13 % chez les non-consommateurs.
Cet écart se répète dans toutes les formes d’implication. Les gros consommateurs de médias locaux sont aussi deux fois plus nombreux à débattre ou à participer à des projets collectifs.
Le vote suit la même logique. Près de 70 % déclarent voter à chaque élection. Parmi eux, les consommateurs intenses de médias locaux atteignent 87 % de participation régulière. Cette proportion tombe à 62 % chez ceux qui n’utilisent aucun média local. L’écart dépasse 25 points. Ceux qui consomment régulièrement de l’information locale sont beaucoup plus engagés socialement et politiquement.
Les simulations menées par ShoWhere sont sans appel. Une hausse de 20 points des non-consommateurs tous médias ferait chuter le score de participation électorale de 77,7 % à 70,9 %. Soit presque 7 points perdus.

Les valeurs citoyennes (listées ci-dessous) reculeraient aussi. Leur score passerait de 72,2 % à 67,3 %. Elles fragiliseraient les territoires déjà affaiblis par la disparition des rédactions. Et révèleraient un risque démocratique tangible.

Dans les déserts d’info, la rumeur remplace l’enquête

Quand les médias locaux disparaissent, la rumeur avance. Facebook domine très largement : les deux-tiers des Français l’utilisent comme source d’information ou pour y donner leur avis.
Les pages locales cumulent des dizaines de milliers d’abonnés. Une seule page dédiée au trafic « Nationale 2 Infos » rassemble 232.000 personnes.
Une autre « ICR », pour Info Contrôle / Radar, centrée sur les contrôles routiers, dépasse 41 000 membres. Pour les faits divers et l’info police-justice, « Météo Nord parisien » rassemble pas moins de 68 000 abonnés.
Ces chiffres en disent long. Ils montrent que la rumeur dispose potentiellement d’une puissance de feu supérieure à celle des rédactions locales.
Les journalistes racontent un terrain saturé d’infos non vérifiées. Début octobre, par exemple, un hélicoptère a survolé le centre hospitalier de Clermont. Une rumeur récente parlait d’un patient échappé d’un hôpital psychiatrique.
Il s’agissait en réalité d’un gardé à vue en expertise qui s’était effectivement échappé. Cette fausse information a circulé plusieurs semaines avant d’être corrigée. Cette dynamique devient un risque : elle remplace les vérifications par des narrations rapides.
La désintermédiation via les plateformes détériore le lien aux médias
Les institutions contournent de plus en plus les journalistes, en communiquant directement. Elles publient des messages incomplets. A l’image de Quimper où les pompiers diffusent une information incomplète chaque semaine via une boucle WhatsApp.
Terminée, la célèbre tournée des commissariats ou de la brigade de pompiers à l’apéro du dimanche
pour savoir quels sont les événements marquants de la journée. Terminé, aussi, le lien privilégié
avec le procureur de la République qui ne « prend plus personne au téléphone et ne réagit que
par mail » déplorent les journalistes locaux.

De la même façon, les gendarmes informent d’abord sur Facebook, sans en avertir les rédactions. Les habitants accusent alors les médias de cacher des faits. Ces tensions éclatent partout où l’offre d’information locale se fragilise.
Des territoires prouvent qu’un autre modèle existe
Pour autant, les villes bretonnes figurent en tête des classements où l’on s’informe le plus par les médias et notamment la presse. Quimper atteint 56 % de consommation tous médias, et reste numéro un pour la presse locale. Le Télégramme diffuse 160 000 exemplaires. Il mobilise 600 correspondants locaux et touche cinq millions de visiteurs uniques chaque mois.
Ouest-France s’appuie lui sur une structure associative qui protège son indépendance. Le réseau local reste dense.
Ces chiffres soutiennent une culture d’actualité forte. Dans la région, 73 % des habitants écoutent la radio chaque jour. Le tissu associatif reste dynamique. L’engagement bénévole dépasse les 26 %. Ces données montrent que l’information et la participation forment un cercle vertueux. Elles nourrissent une démocratie locale robuste.
Les territoires où l’on protège la presse locale affichent de meilleurs scores dans l’enquête. Ils participent plus, ils débattent plus et renforcent leur cohésion.
Le risque démocratique n’est plus théorique
Les déserts d’information ne sont plus rares : ils touchent des villes moyennes, frappent les périphéries et modifient l’équilibre démocratique. Quand 6 % des Français ne consultent aucun média, la démocratie tient encore. Mais si ce taux grimpe à 20 %, les bases vacillent. Les simulations montrent la fragilité du système.
L’absence de médias ouvre un espace où les réseaux sociaux prennent le contrôle. Ils diffusent en continu, amplifient les émotions et installent la défiance.
L’étude montre que 82 % des sympathisants de la droite radicale pensent que les chiffres migratoires sont « cachés » (contre 63% au sein de la population générale, en bleu dans le graphique ci-dessous).
L’analyse montre en outre que l’adhésion aux constats institutionnels ou scientifiques s’accompagne
d’une consommation médiatique un peu plus forte. On observe, par exemple, que les non-consommateurs de médias locaux comptent 23 % de climato-sceptiques, contre 18 % parmi les consommateurs.
L’accès à l’information réduit la défiance, son retrait l’alimente.

Conclusion
La France ne peut pas perdre ses médias locaux sans s’exposer à un recul démocratique massif. Les chiffres le prouvent. Ils montrent un lien entre information, engagement et cohésion. Ils montrent aussi l’impact d’une disparition accélérée de l’offre. Préserver les médias locaux devient une nécessité pour conserver un espace public sain.
Cyrille Frank
[Consultant, formateur, conférencier] voir mon cv plus détaillé
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