En un sketch (hilarant) de 30 secondes, Omar et Fred dénoncent fort justement l’usage abusif du marronnier. L’exploitation excessive du sujet climatique confine à l’absurde. Pourtant, à bien y regarder, ces marronniers ont une fonction sociale et rituelle primordiales.
Les phénomènes climatiques font toujours beaucoup d’audience, et traduisent une véritable intérêt du public, comme j’ai pu le vérifier en tant que rédacteur en chef de l’actu d’un grand portail, aujourd’hui défunt. Pourquoi les intempéries suscitent-elles tellement d’intérêt ? Voici mes hypothèses :
– Pour leur aspect pratique : vais-je être moi-même inquiété par le verglas, bloqué dans les bouchons ?
– Pour leur côté spectaculaire qui stimule plus ou moins notre voyeurisme : « regardons bien ces pauvres gens coincés toute une nuit dans un hall de gare »
– Pour leur dimension de changement : nous portons intérêt à ces informations qui créent un évènement dans nos vies sans surprise.
– Pour leur propriétés esthétiques : « que c’est beau ces villages inondés vus d’en haut, cette neige lourde et immaculée qui recouvre tout… »
– Par convergence philosophique ? Cette nature qui reprend ses droits et nous renvoie à notre condition d’insectes nous inquiète et nous fascine à la fois…
Les médias exploitent donc cette ficelle, cette appétence naturelle pour ces sujets « intempérie ». Mais, flairant la bonne affaire, ils ont tendance à en faire trop, à user jusqu’à la corde et lasser le public. Cette année, le déséquilibre du traitement informationnel en télévision était manifeste, éludant une bonne partie des autres problèmes du monde.
FONCTION SOCIALE DE L’INFORMATION
Les fêtes de Noël ont été propices à une réflexion plus poussée sur ce phénomène et qui m’a fait changer d’avis. Après avoir critiqué ce déséquilibre et dénoncé un risque de désensibilisation émotionnelle par accoutumance, je pense que ce traitement a des vertus indirectes.
Noël dans notre imaginaire collectif christianisé (qu’on le veuille ou non) est ce moment à part où l’on se rapproche du noyau familial mais aussi des autres êtres humains. Soudainement, nous prend l’envie de donner au SDF de la supérette devant lequel on passe chaque jour un peu honteux, en détournant le regard. Cette période particulière, en concentrant notre attention aux autres, nous dédouane de le faire le reste de l’année. Mieux vaut payer la taxe de solidarité humaine en une seule fois.
L’information télévisée en rajoute sur ce thème de la solidarité et des bons sentiments avec pléthore de reportages montrant les associations offrant des cadeaux aux personnes âgées, aux orphelins ou aidant les sans-abri.
L’information climatique a elle aussi une fonction de rapprochement social. La météo a l’avantage énorme d’être le plus petit dénominateur commun entre des individus aux valeurs, points de vue, goûts si différents. Ce thème universel permet de discuter, d’échanger tous ensemble dans une forme de communion informelle qui ajoute à la mythologie solidaire.
Ce n’est pas un hasard si les conversations d’ascenseur se résument le plus souvent au temps qu’il fait. C’est un territoire à la fois commun et neutre qui désamorce d’emblée tout risque de conflit ou de dissension.
Rallonger ces récits et en faire toujours plus sur ce thème climatique permet donc de prolonger la conversation collective, de communier avec son voisin de pallier, l’inconnu du train, ou la gardienne plus ou moins revêche. Sur une période courte et contrôlée nous nous re-socialisons et accomplissons le rituel conforme à notre vision du bien.
Car il s’agit au fond de façonner une image valorisante de soi. Nos actions, nos valeurs, nos idées doivent nous permettre de modeler une image acceptable de nous, sans quoi c’est la dépression, l’inhibition ou la névrose.
SOLIDARITÉ ET LIBERTÉ
Les médias compensent donc ce déficit de communication interpersonnelle caractéristique de nos vies urbaines où la densité humaine ne le permet pas. Mais ces marronniers limitent ces rituels dans le temps, nous permettant aussi de bénéficier de cet atout considérable de la cité par rapport au village : la liberté de l’anonymat.
L’enfer du village où tout se sait, se discute, se dissèque a été souvent filmé par Chabrol et contredit cette vision idéalisée d’une solidarité parfaite, à dimension humaine. La promiscuité, la consanguinité sociale est aussi étouffante et néfaste que la solitude urbaine est douloureuse.
Socialiser ponctuellement, sans perdre sa capacité à s’isoler, à se protéger de l’autre, voilà l’une des fonctions essentielles des médias et en particulier de la télévision. Aujourd’hui concurrencée de plus en plus par les réseaux sociaux. Avec quelques dérapages pour ceux qui ne les maîtrisent pas encore très bien, et ce risque de retomber à l’échelle du village inquisiteur et destructeur de vie privée. Le fameux « village planétaire » prémonitoire annoncé par Marshall Mc Luhan.
Je ne doute pas qu’il s’agisse là d’un problème de réglage, et qu’avec le temps, les gens sauront de mieux en mieux profiter de ces outils sans en être victimes.
Cyrille Frank aka Cyceron
J’avoue, je suis cliente : bien égoïstement pour savoir si oui ou non je vais prendre la route (pas sûr) et aussi, pour découvrir les villages franchouilles transformés en bled de Scanie et autre Sibérie. La neige est un truc de contes de fée, c’est tj le même refrain. Habitués à des hivers cléments depuis une dizaine d’années, nous avons oublié les bonshommes de neige de l’enfance. Les gosses font les zouaves, les adultes que nous sommes devenus s’indignent et cherchent de bouc émissaire à ce qui n’est que de la météo ! Biz à toi et bon noël !
Bonjour Valérie, ah mais moi aussi je suis client 🙂 Comment résister à pareille friandise ? Comment empêcher des enfants de se ruer sur des fraises tagada gratuites disponibles à profusion ? C’est aux médias-parents de ne pas donner à leur public enfant que ce qu’ils aiment. Bonbecs ET épinards. Sucreries ET légumes. Séries ET émissions culturelles. Mais tout est question de mesure, j’aime bien la neige aussi 😉
Bien d’accord sur notre agitation à trouver un coupable en toute occasion.
Excellentes fêtes !
Biz biz
Il me semble que pour qu’il y ait rituel, il faut qu’il y ait transgression et/ou tentative d’endiguer l’irrationnel.
L’aspect transgressif de Noël est des plus évident au travers de ses excès. Par contre le mauvais temps et son danger plus fantasmé que réel me laisse un peu dubitatif.
Mis à part de la taule froissée ou passer la nuit dans un gymnase, on ne risque pas grand chose contrairement au sdf épée de damoclés pendue au dessus de la tête du reste de la population active.
Derrière les bouchons et l’efficacité des services techniques, il y a toute la symptômatologie d’une société rompue à l’économisme, à l’efficacité et au dispositif, dans un système de la trouille généralisée qui s’auto-entretien (cf les médias et la peur dans bowling for colombine par ex)
Aussi voir dans la discussion météorologique le dénominateur commun du lien social, ça semble un peu léger par rapport à ce à quoi pourrait servir le langage. Non ? 🙂
Bonjour Vincent,
Non, il n’y a pas que les rituels transgressifs.
Le bonjour et la discussion d’ascenseur matinaux sont des rites de socialisation tout autant que les épreuves physiques initiatiques de tribus lointaines.
Oui, la discussion météo est le degré zéro de la socialisation, mais sa fonction est énorme : elle permet de maintenir les apparences, d’entretenir l’inocuité d’une relation sans pour autant la développer. La météo permet non seulement de tisser un lien avec des gens avec qui l’on a pas ou peu d’affinités, mais elle reste suffisamment superficielle pour nous permettre de préserver notre liberté. Ne rien révéler de soi, de ses goûts, de ses projets. Ne rien donner tout en donnant l’illusion de le faire.
C’est une restriction utile de la communication très employée des Japonais beaucoup plus secrets et pudiques que nous pour de multiples raisons historiques et culturelles.
Bonjour Cyril (tu remarqueras que lorsque je dis pas bonjour, j’écris depuis mon téléphone) 🙂
Tout comme le névrosé obsessionnel à ses rites que l’on nomme aussi compulsion de répétition et qui fait partie de ses symptômes. Pour ma part, je serais assez pour limiter l’utilisation du rite à son acceptation première, c’est à dire une épreuve de passage induisant une transformation.
Pour les autres, je parlerai plus volontiers d’institution, au sens d’une aliénation chez Wittgenstein.
Cependant il est clair que notre société favorise le lien au contenu du message, tout autant qu’elle pousse au faux-self, le parler faux (conventionnel, consensuel, conversation d’usage)
Certes, il serait plutôt comique d’envisager des inconnus parlant de révolution dans un ascenseur, avant d’entamer la même, avec quelqu’un d’autre devant la machine à café. Il y a même à parier que cela ne déboucherait sur rien de plus que la discussion au sujet de la pluie et du beau temps, parce que ces conversations n’ont d’autres objectifs que maintenir le lien entre des individus soumis à l’impératif de faire du bruit avec la bouche.
Par contre là où c’est dommageable, c’est que l’espace public ne permet, n’autorise plus de moment autres, de critique… comme par exemple le théâtre populaire, la comédia del’arte, etc.
La littérature, la TV, le cinéma ne produisent quasiment plus que des fictions inoffensives (en témoigne ma brève expérience en tant que scénariste).
De même les débats ne sont qu’une répartition des échanges entre convaincus et un auditoire assoupi où lorsque quelqu’un ose une question c’est qu’il connait déjà la réponse (en témoigne mon expérience de colloque).
Là tu me diras qu’il existe quelques comiques lancés dans le jeu des chaises musicales qui dansent la valse de la censure et de l’audimat.
Mais là aussi le niveau reste plutôt faiblard, en témoigne mon expérience auprès d’adolescent qui savent sortir les même en impro (c’est la que l’on remarque que les idées dans la tête d’un gamin de 15 ans sont les même que celles des jeunistes de 30, 40… et là l’absence de décalage fait peur.)
Non, non, rien à faire, rien ne m’ôtera de l’idée qu’aucun nouveau savoir se créé sans qu’il y ait humiliation dans le sens de Copernic, Darwin et Freud. (l’équivalent en littérature serait Casanova, Sade et Lautréamont).
Et là du coup, aussi bien en média nouveau ou traditionnel, on en est bien bien bien bien loin… Soyons exigeants, recherchons l’impossible… 🙂
Vincent,
Sur la primauté de la relation sur le contenu dans notre société actuelle, tu prêches un converti 🙂
Tu as raison, notre société me semble aussi se diriger vers une pacification sociale par superficialité, à la mode nippone ou, dans une moindre mesure, anglaise.
Ce qui me pousse à en rechercher et les symptômes et les causes.
J’ai déjà plusieurs hypothèses qu’il va me falloir cogiter un peu.
Je l’ajoute à la longue liste…
Oui, les innovations-révolutions paisibles n’existent pas. Une rupture se fait toujours au détriment de quelque chose et quelques-uns.
Tu es un artiste, exigeant et donc peu porté par nature sur le compromis, extérieur et même ennemi de ta recherche de pureté.
Moi je suis un mouton ironique. Je suis le mouvement, tout en tâchant de voir de quelle manière on m’enrôle ou l’on m’enchaîne… 🙂
Un artiste je ne pense pas. L’art pour l’art ne m’intéresse pas et m’horripile même. Ce qui m’intéresse par contre c’est ce qui s’y joue, s’y découvre ainsi que la part qui échappe.
Là c’est mon parcours clinique qui me pousse à regarder du côté de ce qui n’est pas dit, plutôt que ce qui est dit ou ce qui peut s’extrapoler.
En gros c’est un travail de déconstruction méthodique (Derrida lite 🙂 )…
Du coup, je me dis qu’une expérience intéressante serait de confronter nos vues sur une timeline identique pendant un temps donné…
Je ne rechigne pas sur le protocole expérimental, mais je crois qu’il doit y avoir friction pour aboutir quelque chose… (mais du côté de la langue, la révolution par les corps ou la force des baïonnettes ne m’intéresse pas)