Le Monde a dévoilé vendredi 5 avril la nouvelle formule en ligne dédiée à ses abonnés. Un an après avoir relifté la version gratuite, le groupe cherche à consolider son modèle mixte en étoffant son offre payante, afin de recruter de nouveaux abonnés.
Le monde.fr compte quelque 40 000 abonnés 100% digitaux, et environ 60 000 abonnés papier qui ont activé leur abonnement digital. L’objectif affiché est de quintupler ce chiffre en trois ans, soit de recruter 200 000 abonnés purement numériques, explique Louis Dreyfus, président du directoire.
L’effort a été porté sur une ergonomie de lecture plus grande et la prise en compte des nouveaux usages sur PC, tablette et mobile. Tout en conservant ce qui fait l’adn du Monde : la hiérarchisation de l’information.
HIERARCHIE ET SELECTION PLUS QUE JAMAIS D’ACTUALITE
Contrairement au figaro.fr qui a adopté une logique de flux, lemonde.fr reste fidèle à son positionnement de repère de l’information et c’est heureux. La une reste fortement hiérarchisée avec un sujet phare, des sujets secondaires puis différentes zones, de plus en plus froides, à mesure que l’on descend l’ascenseur. La philosophie du monde.fr est de distinguer trois temps de l’info : l’actu à chaud, l’enrichissement et le magazine (de type « hebdomadaire » : enquêtes, reportages, chroniques, édito) tous les jours.
Le rôle d’alerte est tenu par un fil de news « en continu », en colonne de droite qui propose davantage d’articles en premier niveau, avant l’usage des flèches de navigation latérales. Pas folle la guêpe, c’est aussi (surtout ?) sur le chaud que l’on fait du trafic.
Le sujet de une est beaucoup plus fortement mis en exergue via une photo panoramique et un très gros titre sur deux lignes qui s’inspire un peu du Huffington Post qui appartient au groupe. La page d’accueil au monde.fr revêt une importance particulière puisque c’est la voie d’accès principale aux contenus, contrairement à la plupart des autres sites d’information. 15% seulement des visiteurs proviennent des moteurs de recherche.
La maquette a gagné en ampleur : elle s’appuie sur un format 1280 pixels de largeur, soit 200 pixels de plus que précédemment. Un changement qui tient compte de l’évolution des taux d’équipement, puisque désormais la majorité des internautes sur PC utilise un écran en 19 pouces ou plus grand. Mais un choix qui n’écarte personne, car l’usage du HTML 5 et du « responsive design » permet de recomposer la home en fonction de la résolution de chacun.
En revanche, la hauteur de la home a été limitée à quatre ou cinq écrans. Pas d’avalanche d’infos, mais une recherche d’équilibre entre sélectivité et diversité des propos et formats.
La recirculation vers les contenus du magazine est assuré en home par deux blocs : les « morceaux choisis », sélection des meilleurs articles, angles originaux, pépites… Et un bloc classique des articles les plus partagés (et non pas les plus commentés, car le partage révéle plus d’engagement de la part du lecteur, c’est un indice qualitatif plus grand).
CONFORT DE LECTURE ET ADAPTATION AUX NOUVEAUX SUPPORTS
La grande innovation ergonomique du site est la prise en compte des usages sur tablette et mobile. Le plus intéressant est la navigation horizontale pour passer d’une rubrique à l’autre, via l’usage de flèches latérales à l’écran principal.
S’agissant des articles, la maquette plus grande permet d’augmenter la taille des polices et aérer davantage. Une nécessité pour le monde.fr, vu la longueur moyenne des articles produits : 20% seulement font moins de 2000 signes, 60% ont entre 2000 et 6000 signes et 20% ont plus de 6000 signes.
Les articles se consultent « en overlay » (superposition par rapport à la page de rubrique), ce qui ajoute à l’effet applicatif : on n’a plus le sentiment d’être dans du web. Un travail sur la psychologie du consommateur plus porté à payer pour une application que pour un site web ?
Mais c’est le bouton « lecture zen » qui crée l’effet « wahou ». Ce bouton permet d’occulter tout ce qui n’est pas du texte et de présenter l’article sous un format proche d’une maquette papier, avec lettrine, larges blancs latéraux et paragraphes très aérés. Il y a juste des liens contextuels en fin de papier.
L’usage du HTML5 permet aussi d’être agnostique et de fonctionner sur tous les systèmes mobile (Android, iOS, Windows8…), un mode de consommation de l’info bien évidemment en forte croissance.
ACCES GEO-TEMPOREL A L’INFORMATION
Deux innovations très intéressantes viennent compléter ce dispositif : la carte interactive qui positionne les articles créés selon le lieu qu’ils évoquent. Un moyen d’avoir une vue globale des évènements et de replacer les faits dans leur contexte géographique, voire géopolitique. Ainsi qu’un mode d’accès aux pays qui nous intéressent plus particulièrement.
La carte localise aussi la vingtaine de correspondants étrangers qui travaillent pour le monde et donne accès à leurs différents papiers, ainsi qu’à leur compte twitter et leur blog, le cas échéant. Cette carte interactive se règle selon trois périodes : à 24 heures, 7 jours ou 30 jours.
Le deuxième mode d’accès original aux contenus est temporel : il s’agit d’une timeline qui permet de naviguer dans l’histoire du monde et du Monde. Le titre a numérisé toutes les archives depuis sa création en 1944 et propose un accès aux principaux évènement organisés sous forme de dossiers. Pour la sortie du produit, il y a déjà une centaine de dossiers de ce type qui seront enrichis ensuite, au fil de l’eau.
Les dossiers sont accompagnés de photos de l’agence Magnum qui dispose de 65 ans d’archives et des videos de l’INA avec lequel le Monde a conclu un partenariat.
Sur mobile, une application dédiée donne accès aux rubriques par « tab bar » et on retrouve les trois temporalités du site.
LES AUTRES CHANTIERS EN COURS
Mi-mai sera aussi proposé le JTE, un journal tactile enrichi qui abandonnera totalement la logique de flux pour proposer une édition délimitée du journal digital. On se retrouve dans une expérience très proche du journal papier mais avec des zones interactives.
Astuce ergonomique inspirée aussi de l’expérience tablette : le déroulé horizontal en mode « parchemin » du journal, avec effet de pliage des articles déjà lus et une barre de défilement avec repère de rubriques.
La video sera aussi fortement développée puisqu’un studio interne accueillera les experts journalistes qui réagiront sur les sujets d’actualité, de la manière la plus agile possible, afin d’apporter leur analyse, leur éclairage, leur mise en contexte. Actuellement le monde.fr publie 30 videos par jour et totalise trois millions de vues par mois. L’objectif que se fixe Louis Dreyfus est de quintupler ce chiffre en un an.
Une touche de personnalisation est aussi à l’étude, avec la possibilité de remonter ses rubriques préférées ou de suivre des journalistes précis.
S’agissant du développement des formats (data-journalisme, reportages transmedia de type snowfall, web-documentaires etc.), le Monde va mettre en place un laboratoire d’innovation interne qui sera animée par deux rédacteurs en chef.
QUEL MODELE ECONOMIQUE ?
Le Monde souhaite recruter de nouveaux abonnés via cette nouvelle offre qui double le nombre de contenus exclusifs qui leur sont proposés, par rapport à un lecteur de la partie gratuite. L’autre argument tient au critère qualitatif : l’amélioration sensible de l’expérience de lecture et de navigation. Enfin le 3e ressort est l’optimisation des teasing du gratuit vers le payant. (Ils ont constaté qu’un papier devait faire au moins 1500 signes, afin de fournir un premier niveau de satisfaction suffisant pour susciter un éventuel acte d’achat).
La partie abonnés comportera aussi de la publicité, mais très allégée puisqu’un seul format (300×600) et un seul emplacement sera affiché par page. Le Monde ne s’interdit pas de pratiquer du « brand-content » (marketing éditorial), à l’instar de nombreux journaux, y compris les plus sérieux, comme The Atlantic ou The Washington Post. Mais sur certains sujets et avec une grande clarté. Nous sommes bien d’accord.
Toutefois, insiste Louis Dreyfus, le gratuit reste le moteur de croissance principal du groupe qui réalise 75% de ses revenus actuels de la publicité. Des revenus publicitaires qui ont cru de près de 10% en 2012 et qui sont appelés à grossir encore davantage pour rejoindre des volumes comparables au monde anglo-saxon, estime Louis Dreyfus. Il s’appuie sur l’argument de la puissance du Monde (2,2 millions de visiteurs par jours) et d’engagement (moyenne de temps passé de 20 minutes par visite !)
D’ailleurs, la partie gratuite continue de s’enrichir, comme l’envoi de deux journalistes de la rédaction, par rotation de six mois, pour un traitement de l’info à l’étranger . Un atout pour assurer un suivi 24/24h car les infos arrivent la nuit ou tôt le matin.
Côté organisation, on s’approche du « reverse-publishing » où la priorité est donnée en termes chronologiques au numérique, mais il reste une réflexion simultanée sur les deux supports. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y aura pas de doublonnage systématique des sujets, explique Natalie Nougayrède, directrice de la rédaction, mais une réflexion sur le meilleur format adapté au support.
La partie abonné représente un investissement important puisque pas moins de 15 personnes y sont affectés, indépendamment de l’équipe qui anime la partie gratuite. Le prix de l’abonnement reste inchangé à 15 euros par mois.
Cyrille Frank
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Genre, je commence à lire l’article. Vient soudain le pop-up « lecture zen » qui me rend tout sauf zen…
Le plus simple, par respect pour le lecteur, serait de bien délimiter les zones « abonnés » du reste des articles libres mis en ligne.
A force de lire un article supposé libre et d’être interrompu par cette cochonnerie, l’effet sera contraire de celui escompté: les lecteurs ne s’abonneront pas plus pour autant et vexés de cette nouvelle politique, se rabattront sur un autre média. Les profits publicitaires s’en ressentiront…