Olivier Cimelière, ancien journaliste et communiquant a écrit là un ouvrage remarquable*. Ce livre dresse un panorama honnête et très documenté des travers de la presse française. Mais, loin d’être une charge facile, c’est surtout une exhortation à changer qu’il adresse aux journalistes.
Le livre débute sur le rappel des faits historiques tout à fait essentiels à la compréhension de la presse française et de son image parfois dégradée. En quelques pages habilement résumées, il nous remémore la tutelle politique des débuts sous Richelieu avec la Gazette de Renaudot, puis le contrôle plus ou moins légiféré de la presse durant la révolution, sous le directoire, Napoléon et son neveu Napoléon III. Il évoque les compromissions économiques de la presse au 19e s, très bien dénoncées par Maupassant (Bel ami) ou Balzac (les illusions perdues).
Enfin il évoque la grande remise à plat après 45 par le général De Gaulle qui a instauré la représentation de toutes les tendances politiques, à l’exception des collaborationnistes bannis. Un grand homme qui n’a pas moins cherché à contrôler son propre organe de presse avec cette tentative de placer un homme à lui à la tête du grand quotidien national qu’il restaure : Le Monde, sur la dépouille du Temps, totalement discrédité. Démarche du général qui se brisera fort heureusement sur l’inflexible souci d’indépendance d’Hubert Beuve-Méry.
Il nous remet en mémoire les multiples tentatives de contrôle, d’intimidation voire d’espionnage de la presse : écoutes téléphoniques de Mitterrand, menaces de Charasse, intimidations de Sarkozy… Sans oublier, plus récemment, les pressions exercées sur certains journalistes comme Fabrice Turpin ou Elisabeth Fleury, coupables de n’avoir pas été assez « respectueux » du pouvoir politique.
LA PRESSE BROCARDÉE
Olivier revient sur les connivences, petits services aux politiques, copinages concomitants à l’ascension des Chazal, Carolis, Kelly, PPDA…
Il dénonce les pratiques journalistiques faciles : le « bon client », les experts omniscients, le « politiquement correct » confortable, le story-telling médiatique, l’émotionnel à tout crin (notamment les faits divers), la contamination de l’information par le divertissement… la course à l’information, le suivisme grégaire, la démagogie des micro-trottoirs…
Il fustige à coups d’exemples pas si lointains, l’auto-censure et le manque de courage de la profession, qui sacrifie quelquefois son idéal de vérité à son confort. Comme l’impossible publication de l’interview du père de Nicolas Sarkozy, refusée par toutes les télés.
SALUT NUMÉRIQUE MAIS PAS SANS LES JOURNALISTES
Le numérique a obligé le journaliste à descendre de son piédestal. A parler à son public et lui donner, la parole également. Ceci via l’apparition des commentaires, des blogs et aujourd’hui des réseaux sociaux qui démocratisent la diffusion de la parole publique.
Olivier raconte cette révolution web 2.0 qui, a permis l’émergence de cette expression alternative. Et il dénonce les tendances au repli corporatiste d’une partie de la profession face à cette nouvelle donne. Tels Jean-Michel Aphatie ou Philippe Val contempteurs de cette production privée d’information qu’ils assimilent à un torrent de boue et de désinformation. Les deux hommes qui se revendiquent de gauche tombent dans une contradiction gênante : comment peut-on défendre le principe démocratique et prétendre réserver le droit d’expression aux seuls journalistes qualifiés ?
Mais si l’UGC (User Generated Content), contenu crée par les utilisateurs, a révélé de vrais talents et permis à des Maitre Eolas ou Versac d’exprimer leurs idées et leur expertise, il ne saurait se substituer à la production professionnelle d’informations. Comme le dit Edwy Plenel « la générosité et la curiosité sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes. Elles ne le sont que si sont mises en oeuvre toutes les procédures propres à l’exercice professionnel, rigueur, précision, recoupement, opinions contradictoires« .
De même que les projets d’automatisation journalistiques, tel le News at seven, ne sont pas crédibles pour donner du sens. Le journal télé américain réalisé à partir de l’agrégation de flux et d’articles récupérés sur Internet se passe en effet de journaliste et même de présentateur remplacé par une animation virtuelle.
LES DÉRIVES D’UNE INFORMATION DE FLUX
Le monde numérique n’est pas non plus ce paradis journalistique, loin s’en faut, et il ne s’agit pas « d’opposer les Anciens aux modernes ». D’autant que la presse en ligne est elle même atteinte de plusieurs maux, relève l’auteur.
« La hiérarchisation de l’information n’a plus cours dans un cybermonde où prime la dernière livraison inédite » constate la journaliste Marie Bénilde. Le cyber-journaliste, agrégateur d’informations passe plus son temps à repackager l’information, qu’à la produire. Il s’agit d’aller vite, de rééditer au bon format, avec le bon titre et peu importe l’importance fondamentale du sujet. Seul compte le potentiel d’audience, dans cette guerre économique exacerbée que se livrent les titres web.
Cette course à l’audience, démagogie éditoriale conduisent à une uniformisation des contenus. Olivier cite une étude de mai 2009 menée par trois chercheurs, Franck Rébillard, Emmanuel Marty et Nikos Smyrnaios. Selon eux 80% des articles se concentrent sur 20% des sujets.
La multiplication des théories conspirationnistes (telle que celles de Thierry Meyssan), de la rumeur, de la désinformation des groupes d’intérêt s’accentue sur le web. Donner la parole à tous, c’est ausi faciliter son accès aux manipulateurs et lobbystes de tout bord. Mais plutôt que traiter ces informations avec mépris, les journalistes doivent les confronter, y répondre et se battre pour imposer une vision plus réaliste des choses.
DES JOURNALISTES PLUS NÉCESSAIRES QUE JAMAIS
Car Olivier est tout à fait convaincu que les professionnels de l’information sont indispensables à ce monde qui s’accélère et se complexifie. Surtout vis à vis de la jeune génération pas assez éduquée à l’information, qui manque d’esprit critique et de repères pour faire le tri dans ce déluge d’informations qui lui tombe dessus.
Et l’auteur cite Marcel Gauchet : « ce que démontre le tous journalistes est précisément , a contrario, qu’il y a un vrai métier de journaliste. Qu’il faut redéfinir profondément mais qui va sortir vainqueur de cette confusion car on aura de plus en plus besoin de professionnels pour s’y retrouver dans le dédale et nous épargner de chercher au milieu de 999 000 prises de parole à disposition. (…). Mais à l’arrivée le niveau d’exigence à l’égard de la presse sera plus élevé et non plus bas« .
Idée qu’il reprend avec ses mots : « la génération numérique doit avoir les moyens d’accéder à une information crédible pour se forger une compréhension du monde plus pertinente que le seul horizon mitraillette des flux Twitter ou des agrégateurs RSS. Il y a donc urgence à restaurer des médias solides pour donner du sens, de la profondeur et de l’espoir ».
En tant que co-fondateur de Quoi.info, l’information expliquée au plus grand nombre, je n’aurais pas pu dire mieux…
Cyrille Frank
Cyceron sur Twitter
Journalistes, nous avons besoin de vous – Edicool Edition par Olivier Cimelière
Disclaimer : *Olivier et moi nous nous connaissons et nous apprécions mutuellement. Mes louanges sont principalement motivées par la qualité de cet ouvrage.
Merci Cyrille pour ce billet et la pertinence de ton propos!
Bonne chance dans ton aventure avec quoi.info!
Merci Paul !
Journalistes ou bloggers, l’essentiel est que les rédacteurs de contenu s’astreignent à quelques règles fondamentales: neutralité, sources, orthographe, etc … or les bloggers vivent dans l’instantanné et publient avant de même de se relire.
Après, la qualité ne paye pas toujours. Au lecteur de faire sont choix. Si beaucoup de gens ont un penchant marqué pour les travers du journalisme alors il est normal que cette presse existe. Ca ne me choque pas sauf dans le cas d’un financement public (TV).
Cela dit la qualité n’est pas toujours où l’on pense. Exemple récent: pour la couverture de la fusillade de Liège, les médias télévisuels belges, non seulement sont arrivés en retard sur l’info, mais en plus n’ont pas fait autre chose que de relayer la timeline Twitter du hashtag « Liège ». Pire, ils ont fait le procès du micro-blogging sur leurs antennes dès le lendemain!