Notre téléviseur 3D ultra-plat, rétro-éclairé est déjà un dinosaure. Le nec plus ultra, c’est désormais la télé connectée qui arrive. Avec elle, il ne sera plus possible d’échapper aux fonctions sociales de type Facebook. Pour le meilleur et le pire.
La télévision connectée, c’est le mariage du téléviseur et de l’Internet. Un seul matériel pour regarder ses programmes et interagir avec eux. Pour quoi faire ?
- Consommer : vous regardez un programme et commandez les produits qui apparaissent dans les décors, et pourquoi pas le collier de la présentatrice ?
- Se socialiser : vous suivez la Nouvelle Star, tout en commentant en temps réel les prestations vocales des candidats, avec votre communauté. Ceci via une application dédiée sur votre mobile ou votre I-Pad qui vous connecte à votre tribu ou à l’ensemble des internautes. Un service à mi-chemin entre Facebook et Twitter.
- S’informer : la télé connectée, c’est aussi la promesse de l’information contextuelle. Pendant le JT de 20h, des informations supplémentaires enrichissent les sujets abordés par le présentateur. Au fait c’est où l’Afghanistan ? La charia, c’est quoi exactement. Et hop, on vous fournit des infos multimédia qui améliorent votre connaissance du monde.
- Se divertir : vous pouvez participer à des jeux télévisés interactifs et répondre aux questions en même temps que les candidats présents physiquement sur le plateau. Le jeu est désormais collectif, participatif et simultané. Les candidats « réels » ne sont là que pour incarner le spectacle et servir d’appât aux joueurs virtuels : un jour, ce seront eux les stars IRL (In Real Life).
UNE RÉVOLUTION, VRAIMENT ?
Tout cela ne semble pas si nouveau. Depuis des années existe déjà Facebook Connect qui permet à CNN de connecter les fans de sa page sur un évènement télévisé retransmis en direct. Ainsi lors de la cérémonie d’intronisation d’Obama, les lecteurs du site web de CNN, en se connectant à Facebook, pouvaient voir et commenter en direct l’évènement.
Leurs commentaires étaient alors repris dans le fil de discussion visible de tous. L’application Coveritlive permet de la même façon de commenter collectivement un évènement en direct, match de foot, concert…
Le téléshopping existe depuis les années 50, les émissions interactives datent des années 70 en radio (« stop ou encore » de RTL), sans parler des numéros SMS surtaxés qui font le bonheur des producteurs d’émissions comme Endemol. Quant à la culture « enrichie », on a eu les CD-Roms dont on a vu dans les années 2000, combien ils intéressaient peu de gens. Trop peu, compte tenu de leurs coûts de production, pour faire vivre le secteur (paix à ton âme Montparnasse Multimedia).
CE QUI CHANGE C’EST L’ÉCHELLE, ET CA CHANGE TOUT
La télévision, c’est le média qui touche le plus de monde avec la radio, comme en atteste le taux d’équipement de + de 98%. C’est aussi le vecteur d’information numéro un des gens (en particulier le JT de 20h), loin devant la presse et Internet (aujourd’hui 30% de nos compatriotes ne sont pas connectés à Internet).
Aujourd’hui, il est déjà difficile de résister à la pression sociale de la moitié de la population qui vous invite sur Facebook. Compliqué de ne pas ouvrir de compte Twitter quand on est un ado qui se veut un minimum branché. Impossible de ne pas avoir de compte LinkedIn ou Viadeo quand on travaille dans la communication ou l’information. Dans le secteur digital, c’est le score Klout qui commence à servir de critère d’évaluation…
Qu’en sera-t-il alors de cet impératif de connexion quand tout le monde sera équipé de l’objet technologique le plus central des foyers, à savoir la télévision ? Pourrons-nous échapper longtemps à cette pression sociale ? Où sont-ils aujourd’hui ceux qui refusaient le fil à la patte du mobile et juraient tous leurs grands dieux qu’on ne les y prendraient pas ?
Les citoyens pourront d’autant moins refuser, que les chaînes de télévision feront tout pour promouvoir ces nouvelles fonctions. Pour faire du commerce e-télévisé, pour gagner des parts de marché en captant l’attention des téléspectateurs via l’interactivité, en vendant de nouveaux services payants éducatifs, ludiques etc. L’eldorado promis par cette nouvelle technologie est surtout celui des marchands.
BIG BROTHER, C’EST NOUS TOUS
Avec ce village global prophétisé par Mc Luhan, nous sommes les scrutateurs permanents de nos voisins. Tels les personnages malsains des films de Chabrol qui espionnent derrière leurs rideaux, nous regardons en douce les pages Facebook de nos amis. Nous savons via leurs statuts ce qu’ils mangent, ce qu’ils font au moment où ils le font. Nous sommes informés via les applications de géolocalisation de type Foursquare de leurs déplacements. Et nous en abusons parfois dans une frénésie maladive
Et d’ailleurs, les médias nous invitent à jouer ce rôle d’observateur et correspondant bénévole, grâce à nos téléphones mobiles. En attestent les applis You du Parisien, Témoins de BFM TV, ou encore les observateurs de France 24…
Le 21e siècle sera social ou ne sera pas. Celui qui ne jouera pas le jeu sera mis sur la touche, comme dans l’excellent « Paradis pour tous » d’Alain Jessua. Le pauvre Philippe Léotard finit par se suicider, refusant de partager la normalité béate des moutonneux consommateurs et rejeté pour cela.
Déjà on sent poindre la méfiance vis à vis de ceux qui n’entrent pas dans la norme. Ne pas se socialiser, c’est suspect. Un jour prochain viendra-t-il où le principal délit sera le refus de socialisation ?
Les lois sont faites pour protéger l’intérêt supérieur du plus grand nombre. On ne punit pas toujours en fonction de critères moraux, mais sur des critères de dangerosité pour le système. C’est pourquoi, les faux-monnayeurs encourent-ils 15 ans de prison, pas moins que les agresseurs faisant usage de torture et de barbarie.
Cet intérêt supérieur de la société expliquerait aussi pourquoi l’inceste a été prohibé ou le suicide banni par les religions. Dans un cas, il s’agissait de pacifier les groupes sociaux, dans l’autre d’empêcher une main d’oeuvre corvéable de s’auto-détruire. On ne casse pas l’outil de travail !
Refuser de se socialiser en réseau sera-t-il considéré un jour comme un danger pour la stabilité du sytème ? Un exemple néfaste et économiquement risqué s’il faisait tâche d’huile.
SOLITUDE OU SUR-SOCIALISATION ?
Dans les années 80, les films comme « Buffet froid« ou « Les chiens » montraient les dérives d’une société urbaine solitaire où la promiscuité éloignait les gens, les uns des autres, paradoxalement.
Aujourd’hui nous avons compensé ces travers par des outils qui nous permettent d’échanger, de nous rencontrer en ligne, pour lutter contre la solitude de nos vies tertiaires et uniformes. Mais ces outils commencent à être envahissants. Quand je me connecte à Amazon, je sais maintenant ce que mes amis ont acheté avant moi. Si je joue sur Facebook, on me dit comment je me situe par rapport à mes amis.
Pire, c’est moi-même qui suis ausculté. Si j’écoute de la musique sur Deezer, tout en étant connecté à Facebook, il faut que je sache que désormais ma communauté saura ce que j’écoute. Fini les Daniel Guichard ou Michel Sardou, il faudra renoncer à ces artistes « ringards », quels que soient mes goûts véritables.
Faut-il en conclure comme Sartre, que l’enfer, c’est les autres ? Ou plutôt l’image négative qu’ils nous renvoient de nous-mêmes ? Car la socialisation, c’est le miroir permanent. On n’existe que dans le regard des autres, ce qui explique en grande partie pourquoi notre société évolue vers un nombrilisme outrancier.
Peut-être pas. Sans doute sommes-nous encore dans une période transitoire de découverte de ces outils, de leurs atouts mais aussi de leurs travers. Déjà apparaissent des réseaux moins intrusifs, limités en nombre d’amis à ses proches, ou à sa famille.
Ou se recréent des barrières excluantes, des clubs privés, qui rompent avec le principe d’ouverture et d’horizontalité d’Internet pour réaffirmer une différentiation sociale. Quand ce n’est pas tout simplement du marketing de masse qui simule un privilège et une rareté de l’offre, tel ventes-privees.com.
Cyrille Frank
Crédit photo via ©Flick’r @terrakate
Bonjour, analyse très juste sur la pression sociétale qui pourrait se faire sur ceux qui refuse. Il y a une très bonne scène dans Zardoze sur ce sujet, vieux film des années 70 avec Sean Connery et Charlotte Rampling.
Concernant Big Brother, je pense que subsiste une interprétation fausse. Big Brother à bien été compris par Jon De Mol. Les gens le désirent. Les gens le veulent, et surtout préfèrent lui confier leur vie.
Et, déjà dans le livre, la population est complice. Le héros est dénoncé. Ce n’est pas une histoire facile. Orwell avait bien compris que les ressorts paranoïaques sont maintenant à la base de la construction sociale, comme le montre encore aujourd’hui les bases idéologiques de tous les partis démagogiques depuis le Fn, jusqu’au communistes, en passant par les verts. Tous des partis de la dénonciation du voisins et de ses supposés turpitudes.
Ah le moule-bite mémorable de Sean Connery dans Zardoz, un must-see. Au moins autant que la combi skai de Jane Fonda dans Barbarella… 😉
Oui je suis absolument d’accord, c’est nous qui acceptons de sacrifier nos libertés, pour le confort. Cf la jolie métaphore de la pillule bleue dans Matrix.
Personne ne prend la pillule bleue qui permet de se réveiller. Autre exemple : les nostalgiques russes de l’ère soviétique : brimés, écrasés, endoctrinés, mais nourris à peu près correctement grâce à un boulot d’état.
Je vais prendre le temps de relire cet ouvrage pour en saisir toute la finesse. Je me rappelle mieux du meilleur des mondes qui m’avait davantage impressionné à l’époque, mais ça date (Anouar El)
A très vite !
TV connectée : vers un contrôle social permanent ? Notre téléviseur 3D ultra-plat, rétro-éclairé est déjà un dinosaure. Le nec plus ultra, c’est désormais la télé connectée qui arrive. Avec elle, il ne sera plus possible d’échapper aux fonctions sociales de type Facebook. Pour le meilleur et le pire.
cool ♥♥♥
Moi, je pense aux dizaines de modérateurs qu’il va falloir embaucher pour les débats politiques et les interventions de nos chers gouvernants… Bah ! Finalement ça pourrait être drôle, la sociomanie politique ne se ferait plus en différé… 🙂
J’aime bien votre explication sur le bannissement du suicide par les religions. Je voudrais bien reprendre l’idée, mais je voudrais savoir à qui en faire crédit. Est-ce votre pensée originale ou celle d’un penseur que je vous saurais gré de bien vouloir nommer (avec éventuellement des références bibliographiques). Bien amicalement. (Vous pouvez m’écrire en poste restante)
Bonjour ossbuco,
Merci pour votre compliment 🙂 Il me semble n’avoir lu cela nulle part, c’est mon interprétation, sinon j’aurais mentionné la source. Ou alors cela fait partie des innombrables petites choses que j’ai glanées, sans m’en rappeler vraiment.
En tous les cas, il y a eu bien souvent, dès l’origine, une alliance objective entre les religions et les politiques et un soutien mutuel évident. Ainsi du christianisme soutenu par Constantin puis Clovis, l’Islam des Abbassides et suivants, le bouddhisme promu par le prince Siddharta Gautama… Mais peut-être pas partout, comme en Chine ou le Bouddhisme a été combattu par le pouvoir politique).
Partant de là, les religions soutiennent l’organisation sociale dont l’interdiction du suicide, comme le christianisme qui justifiera la féodalité, totalement injuste mais qui lui permettra de partager le pouvoir avec la noblesse et le roi. Et de se développer.
Hey Cyrille,
Petit passage express, j’avais perdu l’excellente habitude de passer par ici, et j’avais oublié le plaisir de goûter cette « culture hirondelle » : libre, vive, au firmament, joueuse, et capable de faire du rase-mottes pour s’amuser!
Et paf, qui m’inspire en plus : j’aime bien mon histoire d’hirondelles!
Et tomber en plus sur le moule-bites de Zardoz… alléluia! Et grands esprits qui se rencontrent, la même vanne sur Ça date… ce doit être l’effet « mes rides »!
A bientôt et cette fois-ci autour d’une bière, sans Argentine ni Fukushima qui s’interposent!
Daniel ;o)
Hey Daniel !
Heureux de te retrouver ici !
J’aime bien ta métaphore de l’hirondelle, elle est bien flatteuse merci 🙂
Hehe l’effet « mes rides », c’est tout à fait le genre de vannes que j’affectionne 🙂
Nous n’échapperons pas indéfiniment à cette binouze, par pack de douzes, qui n’en sera que plus douze. J’arrête, c’est la loose.
Fais-moi signe !
Tschusss
(21 décembre 2012, tous ensemble à la grande par douze, eeuh…)
Quand tu veux, je suis redevenu Parigot depuis un an.
En plus je me retrouve de façon inattendue avec un article titanesque à écrire, moi qui n’en ai jamais écrit, ou « alors c’était y’a longtemps, ou bien j’ai oublié, ou ça sentait pas bon »… tes lumières devraient m’aider à arriver à bon port… sans rire c’est un truc de malade.
En tout cas content de te retrouver!
Chouettos !
Et ben fixons rdv, par email ?
Je dois pouvoir me libérer un soir de la semaine