True life

Oui madame, c’est cela, il faut vous allonger là. Qu’est-ce que vous faites ? Non, vous n’avez pas besoin d’enlever vos vêtements.

Monsieur s’il vous plaît remettez vos chaussures, merci.

Ah non madame je regrette, le petit ne peut pas entrer, TrueLife est réservé aux plus de 16 ans.

Oui, madame il est très mûr, j’en suis sûr. Mais moi j’ai une réglementation à suivre. Il se trouve que  que tiens un petit peu à ma licence, vu que c’est accessoirement mon gagne-pain…

Tout le monde est installé, je vais vous demander d’éteindre vos cellulo-gamers  et couper votre puce d’identification. Maintenez une pression constante de 3 secondes sur votre poignet avec votre pouce… Madame, c’est l’autre poignet enfin ! La PI (puce identité) est toujours implantée sur le poignet gauche… Bon, ok tout le monde ?

-Je vous demande maintenant de prêter attention aux recommandations d’usage et consignes de sécurité préalables.

Vous aller d’ici quelques minutes être plongés dans un JIMO, un Jeu Immersif en Mode Onirique. Tout ce qui se produira au cours du jeu sera le fruit d’un programme informatique adaptatif, sans danger, sauf pour les personnes souffrant  de troubles psychiques graves.  Je lis :

« La société TrueLife limited décline toute responsabilité eu égard aux dommages psychologioques que pourraient subir les personnes atteintes de troubles psychologique tels que paranoïa, hystérie, schizophrénie… Les joueurs malades qui, en dépit de nos recommandations, s’engagent dans cette aventure, acceptent pleinement les risques et ne sauraient tenir la société TrueLife Limited pour responsable des perturbations que le jeu pourrait créer dans leur psychisme déjà fragilisé. »

Voilà, tout le monde a signé la décharge ? Un, deux… huit, dix. Ok, c’est tout bon.
Vous pouvez maintenant vous saisir du casque neuronal situé sur la table de chevet. S’il vous plaît un peu de calme… je sais c’est très rigolo, vous ne ressemblez à rien avec cette visière et cet énorme globe  sur l’occiput. Mais du calme, je vais lancer le process d’ensommeillement paradoxal.

Il n’y a aucun risque physique je vous rassure, si l’on vous attache c’est pour éviter les mouvements réflexes intempestifs qui pourraient vous réveiller et vous gâcher la partie. Par ailleurs Loana, notre assistante veillera en permanence durant toute la durée du jeu,  soit 5 minutes équivalents 5 jours.

Vous allez vivre maintenant une aventure extraordinaire où tout vous sera permis, mais rien ne sera simple.
Vous constaterez avec une jouissance infinie que vous savez monter à cheval, vous tirez l’épée comme d’Artagnan et  pouvez planter une flèche au cœur d’une cible à 150 mètres. Mais attention, ces qualités ne seront pas suffisantes pour accomplir votre quête. Il vous faudra être malin, politique, sociable pour vous faire des alliés et déjouer les intrigues ennemies.

Medieval Quest III reprend l’aventure où elle s’était arrêtée, juste après la victoire de Camelott sur les forces du mal du prince des ténèbres. Vous pouvez choisir dès à présent le type de personnage que vous souhaitez incarner.

Un conseil, pas que des chevaliers, je vous conjure, c’est dommage pour l’intérêt du jeu. ça limite les interactions avec le programme… Alors qui choisit d’être Effe ? Ok pour vous trois, l’option est cochée. Ensuite, qui est candidat pour jouer un nain ? Pff c’est toujours pareil, jamais, personne veut jouer les nains, c’est dommage franchement! C’est un super perso, hyper puissant. Mais ok, je remise mon nabot. Qui souhaite être chevalier ? Vous six, bon.
Et je mets donc une magicienne pour la petite dernière, c’est tout ce qu’il lui fallait ?

Tous nos rôles sont incarnés sauf le nain, tant pis pour vous ce sera un allié de taille en moins pour la quête. De “petite taille”, très drôle.

Ah, avant de commencer dernière chose : il se peut que vous vous chamailliez dans l’aventure. Evitez quand même de vous étêter à grands coups de hache, ça vous ferait automatiquement sortir du jeu. Et j’arrêterais alors immédiatement la partie du responsable qui aura occis son compagnon.

C’est bon pour tout le monde ?
Alors allongez-vous, détendez vous, fermez la visière de votre casque immersif. Le faisceau lumino-informatique va s’inscrire dans votre pupille et stimuler directement votre cortex supérieur.

Je lance le compte à rebours ? Pardon madame ? Pipi ? Ah non, madame…
Je vous ai dit tout à l’heure de commencer par ça. Vous n’aviez pas envie tout à l’heure ? Bon allez vous soulager, ce serait dommage que vous vous relâchiez durant la séance. Passer cinq jours avec une envie d’uriner, c’est moche.

Les autres on y va, madame vous rejoint tout de suite, enfin… dans trois heures, si elle se dépêche.

Bonne chance à tous, en route pour Camelott avec Medieval Quest III et que le meilleur gagne !

Paris, 1er octobre 2020

Toute la série des « jobs du futur »

Cyrille Frank aka Cyceron

Crédit photo via Flick’r @Crédit Monorail

4 commentaires sur « True life »

  1. « Schwarzy sors de ce corps ! » ou total recall que l’être humain drôle de petite bestiole ne peut s’empêcher de réguler le moindre espace de liberté.
    Le néant nous fait peur, l’irrationnel nous effraie, dans ce cadre la règle apparait comme quelque chose qui se construit (ou que l’on se construit c’est la même chose) au dessus de nous…

    Ferré en 1973, il a dit aussi dit : »la gauche actuelle est la porte ouverte au fascisme ».
    Phillipe Murray parlait « d’envie de Pénal » (y entendre l’envie de pénis et l’angoisse de castration).
    Moi je parle en terme de (essai de) concrétisation bienheureuse des idéologies fascisantes.

    C’est alors une jolie critique de l’intelligence collective qui fait fureur en ce moment (et dont tu m’as ouvert une prise concrète cela dit en passant), que de dire que de toute manière tous n’aspirons qu’à devenir chevalier.
    Il est donc possible de poser l’hypothèse suivante : On projette dans le virtuel notre impuissance de la vrai vie pensant se délester de l’angoisse afférente, mais c’est plus fort que nous, à coup sûr elle nous rattrape.

    Bien ouej encore une fois 😀

    1. Vincent : c’est exactement cela !

      Donnez de la liberté n’est pas la meilleure façon de les rendre heureux.
      Rappelle-toi cette vraie bonne idée de Matrix : l’idée du traître qui veut retourner dans l’illusion, qui veut retourner en prison pour échapper à la difficulté de vivre.

      Ceci n’est pas bien différent de tous ces nostalgiques du communisme ou même du fascisme italien ou d’Europe centrale (pauvre Hongrie qui prend un mauvais chemin, tout comme nous d’ailleurs…)

      La liberté est douloureuse. rappelle-toi du mythe de la caverne : cela fait mal aux yeux de voir la lumière. Et d’autant plus qu’on a été longtemps maintenus dans le noir (là encore analogie avec les ex empires totalitaires)

      La matrice des réseaux sociaux recréent cet enfermement totalitaire rassurant. Ce n’est pas forcément dramatique, sauf si ce mode de communication prend trop d’importance et devient une manière prépondérante de communiquer. Cf l’excellent « Rollerball » sous-estimé pour son décorum de série B, mais très puissant sur le fond).

  2. Oui, « l’œil était dans la tombe et regardait Caan » se faire assassiner pour avoir refusé de rolleballer…

    Excellent Cyrille!

    En plus du fond j’aime beaucoup les dialogues, très fluide. J’active mes neurones miroirs!

    (eh, j’en vois un qui Reagan au fond à droite)

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