L’exception culturelle française, un problème de vieux con ?

Le colloque NPA, rendez-vous annuel du gotha numérico-télévisuel, a eu lieu mardi 6 novembre 2012 à la Maison de la Chimie. La question centrale abordée : comment mieux défendre la production des contenus, à l’ère numérique.

On a beaucoup parlé de réglementation, de droit, de Google et autre GAFA (Google, Amazon Facebook, Apple).

Jean-Baptiste Gourdin, rapporteur de la Mission Lescure, était là pour faire un petit bilan d’étape et rappeler les enjeux de sa mission : inaugurer l’acte II de l’exception culturelle française, dans un contexte de bouleversement profond du secteur de l’audiovisuel. En gros, sauver le système français de protection des oeuvres, menacé notamment par les géants du web et la fusion numérique de la télévision et d’Internet.

Comment lutter contre le piratage et défendre les auteurs, producteurs de contenus ? Quels modèles économiques envisager pour financer la création ? Comment promouvoir les offres légales de contenus en ligne et sous quelles modalités ?

Hélas, nous n’avons eu à ce stade aucune réponse, juste un rendez-vous : fin mars pour la remise du rapport. Jusque-là, la Commission enchaîne les consultations auprès des différents acteurs et invite les citoyens à s’exprimer via le blog participatif.

Une mission qui n’a pas manqué, dès son origine, de susciter le scepticisme des associations de consommateurs comme La Quadrature du net ou Que Choisir. Celles-ci s’inquiètent du choix de Pierre Lescure, pour présider cette mission, lui qui est issu de l’industrie audiovisuelle et soupçonné d’être porteur d’une vision très protectionniste.

Les associations dénoncent aussi l’orientation “répressive” que semble prendre cette mission. Il faut dire que Pierre Lescure ne les a pas rassurés avec sa déclaration alarmiste selon laquelle “avec la télé connectée, le piratage sera inarrêtable

HORS DE L’EUROPE, POINT DE SALUT

L’Europe, nom de Zeus ! ©moi sur Flickr.com

Pour Catherine Morin-Desailly (sénatrice centriste), qui mène actuellement une mission sur la gouvernance numérique européenne, le problème ne se résoudra pas à l’échelle française.

Elle a rappelé le travail effectué par Philippe Marini, sénateur UMP, qui a remis en juin dernier une feuille de route pour réformer la fiscalité numérique. Parmi les préconisations qu’il a faites, l’avancement de la directive TVA. Celle-ci prévoit le basculement de la TVA sur les services électroniques vers le pays de consommation, mais pas avant 2019 !

Philippe Mariani recommande aussi de faire payer la taxe sur la publicité aux régies publicitaires, où qu’elles se situent, et non pas seulement aux annonceurs, pour la part d’audience qu’ils réalisent en France. Sont clairement visés les fameux GAFA qui actuellement échappent à ce type d’imposition, grâce à des régies situées à l’étranger.

Pour Catherine Morin-Desailly, il faut aussi rapidement harmoniser la fiscalité européenne pour protéger nos emplois en Europe et créer de la croissance. Il s’agit là ni plus ni moins que d’un “enjeu de civilisation” car se trouvent là les clés qui nous permettront de défendre notre création culturelle.

Elle a aussi défendu une uniformisation des fiscalités entre les supports papiers et numériques, une proposition qui va dans le sens de ce que réclament de longue date les éditeurs de  presse en ligne et le Spiil notamment (TVA réduite à 2,1% comme pour le papier).

FUSION ARCEP – CSA : QUÊTE D’EFFICACITÉ OU DE POUVOIR ?

Emmanuel Gabla du CSA a défendu l’idée d’un rapprochement entre les deux autorités dont la séparation n’a plus de sens aujourd’hui selon lui, compte tenu de l’imbrication de plus en plus forte du monde audiovisuel et numérique, comme en témoigne notamment la télé connectée.

Il lui apparaît aujourd’hui « impossible de réguler les contenus sans réguler les contenants » et souhaite une collaboration beaucoup plus forte entre les deux autorités. D’abord par la création d’une Commission de régulation paritaire, puis à terme par la fusion en une autorité unique mais avec deux collèges distincts.

Se pose quand même la question du contrôle final sur les décisions et on sent bien que le CSA, en la matière, a quelques ambitions. Sans doute la frustration d’être aujourd’hui réduit, la plupart du temps, à des recommandations, avertissements et conciliations, sans réel pouvoir coercitif. D’autant que le pouvoir d’attribution des fréquences hertziennes a été en réalité confié depuis 1997 à l’ANFR, l’agence nationale des fréquences hertziennes, autorité non-indépendante, qui valide les décisions d’attribution des fréquences du CSA.

Une fusion qui permettrait surtout au pouvoir politique, selon les mauvaises langues, de reprendre la main sur l’Arcep et de réformer un CSA qu’il trouve peu efficace. Mais un projet qui suscite une levée de boucliers d’à peu près tout le monde, à commencer par les associations de consommateurs évoquées plus haut.

Celles-ci voient d’un mauvais oeil cette intrusion d’une autorité de censure télévisuelle sur le web et dénoncent un risque vis à vis de la “neutralité du web”. Les opérateurs Télécom, eux s’inquiètent de la création d’une entité bureaucratique entravée par la lourdeur des intérêts politiques.

LES DROITS D’AUTEUR SUR LA SELLETTE ?

Lobbying actif dans les travées de la Commission européenne
Le lobby, c’est leur hobby ©wallyg sur Flickr.com

Hervé Rony, directeur général de la Scam, société civile des auteurs multimédia, s’est montré très inquiet quant à lui de certains discours qu’il entend à l’échelle européenne. Je l’ai interviewé à l’issue de la conférence pour en savoir plus.

Hervé Rony pense notamment à Nelly Kroes, commissaire européenne chargée du respect de la concurrence, qui promouvrait, ni plus ni moins que l’abolition du régime de la copie privée au bénéfice du “fair use”. Ce système limite l’exercice du droit d’auteur en cas notamment d’usage à but non commercial.

Le régime de la copie privée, lui, est une exception au droit d’auteur pour ceux qui ont déjà acquis légalement une oeuvre et souhaitent juste faire en faire une ou plusieurs copies, à usage privé et non collectif, par souci de commodité.

Pour Hervé Rony, la Commission européenne subit les pressions de puissants lobbies soucieux d’avoir accès à un maximum de contenus gratuitement et à des fins mercantiles. Et d’évoquer le budget de lobbying de Google au Parlement, qui s’élève selon lui, à 15 ou 20 millions d’euros.

Ou encore la pression des pays récemment intégrés à l’Union européenne, de tendance très libérale, par besoin de capitaux étrangers ou par rejet culturel du socialisme dont ils ont pu être victimes (Pologne, République tchèque, Hongrie etc.)

La France, peu présente dans les couloirs de la Commission ou du Parlement, perdrait ainsi de l’influence. Son combat pour le respect des droits d’auteur serait de plus en plus interprété comme la ligne de défense d’une corporation contre l’évolution normale d’une société mondialisée “moderne”.

A l’origine selon lui de cette perception, la maladroite loi Hadopi aux sanctions disproportionnées, notamment la coupure de l’accès Internet. Non que Hervé Rony soit contre une politique répressive en matière de téléchargement illégal, mais il prône une réponse graduée et limitée à de simples amendes pour les particuliers. Vous êtes mal garé ? vous payez un amende, c’est juste et ce n’est pas la mort.

Hervé Rony attire notre attention sur  le piège tendu par les lobbies qui jouent la carte des modernes contre les anciens. Il s’agit de financer et encourager notre patrimoine culturel !

GOOGLE FAIT LE DOS ROND, POUR MIEUX ESQUIVER

Google les mouettes, la mer est basse...
Google les mouettes, la mer est basse… ©halilgokdal via Flickr.com

Alexandra Laferriere, directrice des Relations institutionnelles de Google France, avait la délicate mission d’affronter seule tous ces fauves prêts à en découdre.

Elle a d’emblée fait profil bas, évoquant la nécessaire « collaboration » et « discussion » avec les producteurs de contenus, afin de trouver des modèles « gagnant-gagnant ». A l’instar de l’accord conclu récemment avec le syndicat national de l’Edition.

Un accord laborieux issu de six ans de bras de fer qui témoigne plus d’un affrontement que d’une collaboration, ce qu’est venu rappeler Pierre Louette (Orange). “Attention aux discours lénifiants de Google. Tout commence par un rapport de France”.

Il sait de quoi il parle, lui qui, en tant que pdg de l’AFP, a bataillé deux ans avec Google pour finir en 2007, par se faire payer les dépêches que lui pillait le moteur de recherches, de manière pour le moins indélicate.

A. Lafferriere a contesté fort naturellement la domiciliation du siège de sa société en Irlande pour des motifs fiscaux, rappelant qu’il y avait là-bas plus de 2000 collaborateurs, et que ce n’était pas une simple “boîte aux lettres”.

Elle a évoqué les différents efforts fournis par Google en faveur de la démocratisation de la culture, comme le Google art project qui référence les oeuvres de quelque 150 musées, ou encore le système d’avance sur recettes publicitaires dans le cadre du lancement prochain de 13 chaînes sur Youtube.

Des efforts qui sont très faibles en regard des 1,7 milliard d’euros que réclame le fisc à Google pour non-déclaration de bénéfices réalisés en France.

Mais la représentante de Google a semblé en revanche très ferme sur la question de la création d’un droit voisin, auquel elle est totalement opposée. On parle bien de la fameuse “lex Google” qui préconise de faire payer le moteur pour les liens référençant les contenus des journaux en ligne.

Un système qu’elle estime néfaste à la fois pour le consommateur et pour les éditeurs. Sur ce point, je lui donne raison.

Une matinée riche qui a abordé de nombreuses questions centrales s’agissant du financement de la production culturelle à l’ère de la mondialisation et de la fusion numérique.

Il en ressort toutefois le sentiment que chacun défend son pré carré et se présente en ordre dispersé face aux géants du web qui jouent de cette division. Comme les Américains en jouent à l’OMC. Le multi-souverainisme européen et l’absence d’unité politique, sont des cadeaux faits au fédéralisme américain (entre autres).

Par ailleurs, une fois de plus, le pouvoir politique a brillé par son absence, puisque Fleur Pellerin s’est opportunément esquivée à la dernière minute, tout comme Aurélie Filippetti avait soigneusement évité de se présenter à la sauterie annuelle du Spiil. Manque de courage ou manque d’opinion ? Cet évitement politique n’est pas rassurant, en tout cas.

Cyrille Frank

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3 commentaires sur « L’exception culturelle française, un problème de vieux con ? »

  1. Bon, au risque de passer pour un chiant, une petite correction : la commissaire européenne c’est Nelly Kroes, pas Nelly Cross. voilà 🙂

    Accessoirement, son background est déjà assez « chargé » au niveau de la concurrence numérique (la condamnation de Microsoft dans l’affaire de l’inclusion d’IE dans windows, c’est son oeuvre)

    1. Merci Gwendal au contraire !

      J’avais fait une recherche avec cette orthographe, et vous me croirez si vous voulez, j’étais tombé sur des résultats… D’où mon erreur « persistante ».

      Je vais me renseigner avec la bonne orthographe.

      Merci encore

  2. Bon, au risque de passer pour un chiant, une petite correction : la commissaire européenne c’est Nelly Kroes, pas Nelly Cross. voilà 🙂

    Accessoirement, son background est déjà assez « chargé » au niveau de la concurrence numérique (la condamnation de Microsoft dans l’affaire de l’inclusion d’IE dans windows, c’est son oeuvre)

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